Dieu fait main
Frères et sœurs, en conversant avec les lectures de ce dimanche, mon cœur a été touché par les derniers versets de l’Évangile : « Quand [Jésus] se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite. Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu’il accomplissait. Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme. »
Il est question de foi trois fois – on parle à trois reprises du fait de croire : la foi des disciples après la résurrection de Jésus, la foi de beaucoup à la vue des signes, et aussi la foi de Jésus, ou plutôt sa non-foi, en ceux-là. Dans le texte grec, c’est à chaque fois le même verbe. Beaucoup croient en Jésus, mais Jésus ne croit pas en eux parce qu’il les connaît tous. Ces gens-là croient qu’ils croient en Jésus, mais en réalité ils ne croient pas vraiment.
Je voudrais donc vous parler de foi, même si je ne parlerai qu’une fois.
Parlons déjà de ceux qui refusent de croire. Il y a ceux que Jean appelle « les Juifs », c’est-à-dire les notables de Jérusalem (n’oublions pas que Jésus et ses disciples sont tous juifs). Ils voient Jésus chasser du temple les marchands, les changeurs et les animaux. Non seulement cet homme se comporte comme un prophète, mais en plus il ose appeler le temple, la maison de son Père. C’est impossible à entendre.
Bien des années plus tard, Paul écrit aux chrétiens de Corinthe que le Messie Crucifié est « scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. » Impossible pour les Juifs de croire en un Dieu qui laisse son Messie être condamné par la Loi et mourir de la mort réservée aux esclaves et aux maudits. Impossible pour les païens de croire en un Dieu qui, au lieu de faire disparaître la souffrance et la mort d’un coup de baguette magique, vient les remplir de sa présence.
Lorsque nous sommes enfermés dans une certaine idée de Dieu, qu’il est difficile de tourner son cœur vers le vrai Dieu ! Paul le sait par expérience.
Il y a donc ceux qui refusent de croire. Il y a aussi ces personnes nombreuses qui croient croire ; Jésus ne se fient pas à elles car il connaît leur cœur. Elles se sont fait une fausse idée de lui. Lorsqu’il dira que celui qui aura mangé sa chair et bu son sang vivra éternellement, beaucoup partiront ; d’autres encore lorsqu’il annoncera sa passion ; et finalement il se retrouvera presque seul au jour de la croix.
Aujourd’hui encore, nous rencontrons bien des personnes qui croient croire. Souvent, elles nous disent : « Jésus, oui ; l’Église, non », c’est-à-dire : « Je me trouve très bien avec mon idée de Jésus comme un prophète, un sage, une belle histoire du passé, mais ne venez pas me parler des exigences évangéliques et de la conversion de vie, ne venez pas me parler de la croix et encore moins de la résurrection et d’un Jésus vivant aujourd’hui qui m’attend dans sa parole et ses sacrements. »
Que l’on refuse de croire ou que l’on croie croire, c’est finalement toujours le même problème : nous nous sommes fabriqué un dieu à notre mesure, un dieu fait main, ce que l’Ancien Testament appelle une idole. Le problème de l’idole, c’est qu’elle fait écran entre Dieu et mon cœur, ce cœur que Dieu seul peut vraiment combler.
De nos jours, il y a deux idoles très répandues. Toutes deux sont des dieux lointains et sans visage, et donc radicalement incompatibles avec la foi chrétienne. La première est ce dieu bavard et punisseur qui ne parle que pour autoriser, obliger ou interdire. Ce dieu a beaucoup de succès aujourd’hui : il est si réconfortant de pouvoir se dire que l’on est dans le camp du bien, en règle avec dieu. La seconde est ce dieu mou et muet que j’autorise à exister tant qu’il ne me demande rien, et surtout pas de me remettre en cause. Ce dieu me veut gentil et heureux, mais qu’on n’aille pas me demander d’être saint.
Frères et sœurs, en fait, il est probable que nous nous fabriquions tous des idoles. La vraie question est donc plutôt : « T’attaches-tu à elles ou bien laisses-tu le vrai Dieu les déraciner de ton cœur ? »
Je reviens au début de la phrase évangélique de tout à l’heure : « Quand [Jésus] se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite. » Ce jour-là, dans le temple, les disciples n’ont sûrement rien compris. Ils ont cependant accepté de suivre Jésus jour après jour et de traverser avec lui l’épreuve de la croix. Il a fallu bien du temps et des conversions pour se débarrasser de leurs fausses idées sur Dieu et l’accueillir tel qu’il s’était fait connaître en Jésus. Il leur a fallu suivre Jésus de près, rester en contact étroit avec lui.
Jésus était un artisan, un charpentier. Ce n’était sans doute pas par hasard, puisqu’il a dédié sa vie à construire une maison, un temple : l’Église que nous sommes. Jésus aurait aussi pu être potier. Au commencement du monde, Dieu a façonné l’humain avec de l’argile. Dieu est un artisan qui touche, palpe et modèle patiemment la matière que nous sommes.
Aujourd’hui encore, notre Dieu nous travaille par sa parole et ses sacrements. Chacun de nous est une pièce unique que Dieu fait main. Au long des années de notre vie, si et seulement si nous nous laissons faire, Dieu nous façonne, nous dégrossit, nous martèle, nous burine, nous décape, nous polit. S’il lui arrive d’être un peu rude, c’est sans doute qu’il faut nous défaire d’une idole récalcitrante.
En conclusion, je voudrais nous proposer un exercice pour cette troisième semaine de carême. Qu’est-ce qui me dérange ? Quelle parole de l’Évangile, quel geste de Jésus, quelle exigence de la vie chrétienne ? Et une fois que je l’aurai identifiée, ne pas la fuir : la présenter au Seigneur, éventuellement en parler, demander conseil.
Le Seigneur connaît le cœur de chacun et chacune ici, et il ne demande qu’a y faire place nette pour venir lui-même y demeurer.
Père Alexandre-Marie Valder