Aimer ses ennemis …

Aimer ses ennemis …

Avec les lectures de ce dimanche qui nous invitent à l’amour du prochain et même de l’ennemi, nous sommes au cœur de la morale chrétienne. Avant toute chose, il me semble important de faire deux précisions.

Premièrement, Jésus nous dit : « Moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant. » Avec les gentils, avec nos amis, nous savons comment nous comporter, car nous les connaissons et nous les aimons. Et parfois, justement parce que nous les connaissons et que nous les aimons, nous pouvons leur dire leurs quatre vérités. Mon ami, mon époux, mon frère, mon enfant, sait bien que je l’aime. Il ne m’en voudra pas de lui dire « non », de lui riposter, si je le fais avec un amour vrai, pour le faire grandir.

D’ailleurs, Dieu le premier agit ainsi avec nous. Tous les saints en témoignent. Au début de notre vie avec le Seigneur, il nous attire à lui avec des liens d’amour, avec du miel. Ensuite, lorsque nous nous sommes attachés à lui, il nous mène par des chemins plus ardus, plus desséchants, mais toujours pour nous faire grandir.

Deuxièmement, à propos de ce mot d’« ennemi ». À proprement parler, un chrétien n’a que deux ennemis : le péché et Satan qui est l’auteur du péché. Evidemment, ce ne sont pas de ces ennemis-là que parle Jésus. Avec le mal, on ne discute pas. Tout compromis est déjà une compromission ; toute négociation est déjà une trahison.

L’ennemi que Jésus nous commande – nous commande ! – d’aimer, c’est toute personne pour qui nous n’avons pas spontanément de l’affection, toute personne qui nous dérange, nous agace, et même jusqu’à celui ou celle qui cherche à nous nuire. Nous resterons toujours bien petits devant l’exemple donné par nos frères et sœurs persécutés au Nigéria, en Iran ou en Chine.

 

Ces précisions étant faites, frères et sœurs, je nous pose une question : pourquoi Jésus nous commande-t-il d’aimer nos ennemis ? Est-ce juste pour prouver que nous aimons mieux que les hindous, les musulmans et les juifs et obtenir la médaille d’or de la charité ?

Si Jésus ose nous commander d’aimer nos ennemis, c’est qu’il sait qu’au Ciel, il n’y a plus d’ennemis. Il n’y a plus que ceux qui se seront laissé aimer et qui auront aimé à leur tour. Certains auront vécu presque toute leur vie dans l’amitié de Dieu. Il y aura aussi les ouvriers de la 9e heure, de la 11e heure, sans oublier les larrons repentants. Au Ciel, nous aimerons en vérité ceux qui sont aujourd’hui nos ennemis, alors autant s’y mettre dès maintenant.

Prenons Etienne et Paul par exemple. Sur terre, Paul s’est fait le complice du meurtre d’Etienne. Au Ciel, ils sont unis par la même charité. Le jour de la fête de saint Etienne, nous lisons un texte qui dit ceci :

« Étienne […] avait pour armes la charité, et grâce à elle il était entièrement vainqueur. Par l’amour de Dieu, il n’a pas reculé devant l’hostilité des Juifs ; par l’amour du prochain, il a intercédé pour ceux qui le lapidaient. Par cette charité, il leur reprochait leur erreur, afin qu’ils se corrigent ; par cette charité, il priait pour ceux qui le lapidaient, afin que le châtiment leur soit épargné. Fortifié par la charité, il a vaincu Saul qui s’opposait cruellement à lui et, après l’avoir eu comme persécuteur sur terre, il a obtenu de l’avoir pour compagnon dans le ciel. »

Frères et sœurs, il n’existe qu’un seul chemin vers le Ciel : c’est l’amour en vérité, la vraie charité. Tous les autres chemins conduisent à des impasses.

Cela vaut d’abord pour nous : nous parviendrons au Ciel uniquement si nous nous efforçons d’aimer en vérité, avec persévérance, un travail qu’il nous faut remettre sur le métier chaque matin. Vous connaissez sans doute cette histoire concernant saint François de Sales. Alors qu’il prêche sur l’amour des ennemis, un protestant, voulant le mettre à l’épreuve, l’interpelle :

« Vous venez de dire, qu’il faut, après avoir reçu un soufflet sur une joue, tendre l’autre pour en recevoir autant.

Oui, dit François, j’ai dit cela, parce que c’est un enseignement évangélique.

Eh bien ! dit le protestant, je voudrais bien savoir : si je vous donnais un bon soufflet maintenant, me tendriez-vous l’autre joue pour en recevoir un second ?

Vraiment, dit François, je ne sais pas ce que je ferais ; mais je sais bien ce que je devrais faire, et il ne tiendrait qu’à vous de le vérifier. »

L’amour en vérité, la vraie charité, est aussi le seul chemin du Ciel pour notre ennemi : c’est seulement si nous témoignons de l’amour à notre ennemi que nous lui pourrons lui faire voir le vrai visage de Dieu et que notre ennemi pourra peut-être se convertir à son tour. Si nous lui répondons autrement que par l’amour en vérité, nous mettons des obstacles sur son chemin de salut.

Je parle bien d’amour en vérité, l’amour qui est patient et bon ; l’amour qui n’est pas envieux, ne se vante pas et n’est pas prétentieux ; l’amour qui ne fait rien de honteux, n’est pas égoïste, ne s’irrite pas et n’éprouve pas de rancune ; l’amour qui ne se réjouit pas du mal mais se réjouit de la vérité. L’amour qui, en toute circonstance fait face, garde la foi, espère et persévère.

C’est cet amour-là, et non ses caricatures contemporaines, qui nous rend semblables à Dieu. Dieu le premier fait lever son soleil et tomber la pluie sur les bons et les méchants. Dieu le premier se laisse bafouer sans riposter, s’efforce de se réconcilier avec son ennemi, se laisse frapper et ouvrir le cœur.

Le Seigneur nous dit : « Soyez saints car je suis saint… vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait… » Ne nous faisons pas de fausses idées : la sainteté et la perfection dont il est question ne sont rien d’autre que cet amour en vérité dont Jésus est le modèle. Ce que Jésus commande dans le sermon sur la montagne, il l’a mis en pratique. Au soir de sa vie, ce sera toujours le même commandement : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »

Alexandre-Marie