Chercher, renoncer, adorer
Chercher, renoncer, adorer
« Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : “Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui.” »
Frères et sœurs, en cette fête de l’Epiphanie, je voudrais nous inviter à méditer sur trois attitudes des mages. Les mages dont nous parle l’Évangile sont des gens qui cherchent, qui renoncent et qui adorent. Chercher, renoncer, adorer : trois actions qui font partie de l’ADN du chrétien et qui dérangent dans le monde d’aujourd’hui ; et peut-être que nous aussi elles nous mettent mal à l’aise.
En premier lieu, dans l’Évangile, les mages sont des chercheurs. Ces mages étaient des savants, des observateurs de la nature, et tout spécialement des astres. Lorsqu’ils ont vu apparaître une nouvelle étoile dans le ciel, ces chercheurs se sont fait chercheurs de Dieu. Le regard contemplatif sur le monde conduit à celui qui en est l’auteur.
En outre, dans leur recherche de Dieu, les mages refusent de se satisfaire du minimum. Ils veulent trouver le pays, et la ville, et la maison où est né le roi. « Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère. » Ils veulent le voir, le toucher, se prosterner devant lui.
Leur désir m’évoque celui de certains catéchumènes. Ils ont soif ; ils ne veulent pas se contenter d’un Dieu vague : ils veulent connaître le Dieu fait homme, celui qu’on ne rencontre qu’en entrant dans la maison de l’Église. Je pense tout spécialement à ceux et celles, issus de la tradition islamique, qui s’émerveillent de ce Dieu qui s’est approché de nous, qui nous a ouvert le secret de son intimité, de sa maison.
Au contraire, on trouve dans les psaumes cette parole : « Plein de suffisance, l’impie ne cherche plus : “Dieu n’est rien”, voilà toute sa ruse (Ps 9B, 4). » Autour de nous, beaucoup d’hommes et de femmes ne cherchent plus. Ils ont des idées bien arrêtées à propos de Dieu et n’en démordent pas. Ne plus chercher, vivre sans désir et sans soif, cela peut même arriver aux chrétiens, lorsque nous nous sommes fait un petit Dieu à notre image, à notre mesure, un petit Dieu avec lequel nous nous arrangeons. Pour le pape François, cette mondanité spirituelle est le pire fléau dans l’Église.
Même si l’Évangile ne nous le dit pas, nous pouvons supposer que, pour les mages, cette recherche de Dieu ne s’est pas faite sans renoncements. Il leur a fallu quitter leur pays pour une terre étrangère, laisser derrière eux un statut social, une reconnaissance, afin de suivre un signe dans le ciel. Peut-être les a-t-on critiqués ; peut-être s’est-on moqué d’eux ; peut-être leur a-t-on reproché de ne pas être raisonnables et de poursuivre des chimères.
Aujourd’hui, pour quelle raison accepte-t-on encore des renoncements ? Pas pour Dieu en tout cas. Nous connaissons bien la rengaine : tu te lèves plus tôt pour aller à la messe ou pour prier ? tu t’abstiens de viande le vendredi ? tu ravales telle médisance ou tu passes sur telle offense ? tu donnes de ton temps et de ton argent pour l’Église ? Non mais tu crois vraiment que cela change quelque chose pour Dieu ? Eh bien, oui, cela change quelque chose pour Dieu.
Prêtons-nous assez attention à ces paroles du Seigneur : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive (Mc 8,34) » ? Comme le pape François le rappelait dans son exhortation sur la sainteté (n°174), notre baptême nous donne une mission qui nous dispose à des renoncements, jusqu’à tout donner.
Nous ne sommes pas sur terre pour souffrir, mais pour aimer ; toutefois, aimer vraiment ne va jamais sans des renoncements qui coûtent. « Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même », disait Thérèse de Lisieux. Je pense aux consacrés et aux martyrs. Renoncer au mariage pour suivre le Christ de plus près, renoncer à son confort et même à sa vie lorsqu’on est persécuté pour sa foi : deux folies aux yeux du monde, et aussi pour certains chrétiens.
Enfin, l’Évangile nous dit que les mages sont venus pour se prosterner devant le roi des Juifs qui vient de naître, afin de l’adorer et de lui offrir des présents.
Adorer Dieu : voilà encore une folie aux yeux du monde. Bâtir des églises, les embellir, les chauffer, s’y réunir : autant de temps et d’argent gâché pour ce qui ne sert à rien, ne produit rien ; sans parler de ces moines et moniales qui consument toute leur vie pour le seul service de la louange de Dieu.
Les hommes et les femmes ne sont pas des robots destinés à travailler avant d’être mis au rebut. De notre premier battement de cœur jusqu’à l’éternité, nous sommes tous faits pour adorer Dieu, tous, tous, tous : enfants ou adolescents, adultes ou personnes âgées, valides ou handicapés. Le temps et l’argent consacrés à la prière, à l’adoration et à la louange ne sont pas gâchés. Vivre sans reconnaître et adorer le vrai Dieu, voilà le véritable gâchis.
En Église aussi, l’activisme nous guette. Clercs, laïcs, consacrés, nous voulons toujours en faire plus pour les autres, et c’est très bien, à condition de ne pas nous couper de la source. Chaque jour, chaque semaine, il nous faut « perdre du temps pour Dieu » dans la prière : il nous le demande, nous en avons besoin, c’est notre noblesse humaine, ce qui nous différencie des animaux et des machines.
Frères et sœurs, cette année 2024 nous offre 366 jours. 366 jours pour aimer Dieu et le prochain, 366 jours pour chercher avec amour, pour renoncer par amour, pour adorer l’Amour qui est venu jusqu’à nous. C’est ce que je demande pour chacun de nous dans la prière. Amen.
Père Alexandre-Marie Valder