Dieu déroutant
Vous êtes-vous déjà demandé comment on prépare une bonne homélie ? Normalement, en méditant les lectures du jour, quelque chose nous surprend, nous étonne, nous dérange, et c’est souvent un bon départ. Ce dimanche, rien ne me surprenait. Et puis j’ai pensé que c’était quand même surprenant de ne pas être surpris par la parole de Dieu ; de pouvoir lire le récit de la mission de Paul et Barnabé, les envolées joyeuses du psalmiste, les visions de Jean, le don par Jésus du commandement nouveau et de se dire : « oui, bon, et alors ? »
Nous sommes parfois trop habitués. Nous entendons « parole du Seigneur » comme si c’était normal que Dieu parle. Si nos genoux nous le permettent, nous témoignons respect et adoration au Seigneur présent dans l’Eucharistie, comme s’il était normal d’avoir rendez-vous avec le créateur du monde chaque semaine.
N’est-il pas justement surprenant, étonnant, dérangeant, incroyable que l’on nous raconte, avec nos mots humains, ce que Dieu a fait et qui Il est ? Par la foi, c’est-à-dire lorsque nous faisons confiance à ce que Dieu nous dit de Lui, nous pouvons connaître Dieu avec certitude.
Bien sûr, Dieu garde son mystère mais nous savons cependant tant de choses sur Lui. Nous savons avec certitude que Dieu existe, que Dieu n’est pas indifférent à nos vies, qu’Il n’est pas solitaire. Nous savons qu’Il est relation, communion de personnes, qu’Il est amour, et tout cela nous le savons sans l’ombre d’un doute, car Lui-même nous l’a dit en Se révélant à nous. N’est-il pas surprenant d’en savoir tant sur Celui qui est au-delà de tout ?
Et ce n’est pas tout. Si je vous raconte un peu qui je suis, que je vous parle de ma famille et de ce qui me passe par la tête, c’est une chose. Mais si je vous dis : « Venez, je vous invite au restaurant ! », alors je vous fais entrer dans ma vie. Nous allons désormais avoir une histoire commune, vous et moi.
Il en est de même avec Dieu. Non seulement Il Se révèle : le Seigneur, Trinité Sainte et Eternelle du Père, du Fils et de l’Esprit, Créateur du ciel et de la terre, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère et plein d’amour, mais il nous ouvre un avenir, il nous fait entrer dans une histoire avec lui : voilà ce que j’ai fait dans le passé en faveur des hommes, et voilà ce que je vous promets pour l’avenir : un ciel nouveau, une terre nouvelle, une cité sainte, tout équipée mais sans vue sur la mer, car « de mer, il n’y en a plus ».
Là aussi, nos pauvres images sont bien imparfaites. Il n’empêche que nous en savons beaucoup sur ce qui nous attend. Le paradis, ce ne sera pas de courir tout seul, tout nu dans un jardin ou sur une plage. Ce que Dieu nous promet, c’est une ville, un lieu où l’on habite ensemble, en communauté, comme peuple de Dieu. Ce qui nous est promis, ce n’est pas le malheur et la désolation, même s’il y aura aussi un temps pour la colère de Dieu, mais la fête des noces et la consolation par Dieu qui essuiera les larmes sur tous les visages.
Et ce n’est pas tout. Nous ne sommes pas passifs. Nous pouvons prendre une part active à tout cela ; nous pouvons servir Dieu ; nous pouvons Lui faire plaisir.
Il y a un passage de l’Evangile de Luc que nous connaissons tous, et qui est pourtant incroyable : lorsque Jésus, au moment d’entrer à Jérusalem, envoie ses disciples en avant de lui pour aller chercher un âne, il leur dit ceci : « Si l’on vous demande : “Pourquoi le détachez-vous ?” vous répondrez : “Parce que le Seigneur en a besoin.” » N’est-ce pas incroyable ? Le Seigneur a besoin… il a besoin de l’âne, mais il a aussi besoin de chacun de nous, de notre libre participation à son œuvre.
Et il y a un autre passage que malheureusement nous lisons rarement, dans le livre du prophète Baruch : « [Notre Dieu] a découvert les chemins du savoir, et il les a confiés à Jacob, son serviteur, à Israël son bien-aimé […] Heureux sommes-nous, Israël ! Car ce qui plaît à Dieu, nous le connaissons. » Dieu nous a dit ce que nous pouvons faire si nous souhaitons lui faire plaisir, et Lui qui est le Seigneur de l’univers se laisse vraiment émouvoir par cela.
Comment donc prendre part à l’œuvre du Seigneur ? Faut-il accomplir des sacrifices extraordinaires et des exploits héroïques ? Pas du tout !
Lorsque nous célébrons la liturgie en Eglise, en union avec le Christ, nous faisons plaisir à Dieu. Nos chants n’ajoutent rien à ce qu’Il est, bien sûr, mais ils nous rapprochent de Lui. Chaque fois que nous célébrons les sacrements, Dieu est glorifié en nous, c’est-à-dire que sa divinité est rendue plus visible aux yeux du monde.
Nous prenons part à l’œuvre de Dieu aussi lorsque nous annonçons la Parole à d’autres, comme l’ont fait Paul et Barnabé dans la lecture d’aujourd’hui, comme l’ont fait les nouveaux saints français canonisés aujourd’hui, saint César de Bus et sainte Marie Rivier.
Nous prenons part à l’œuvre de Dieu aussi en aimant comme Jésus, et c’est bien ce qu’Il nous demande dans l’Evangile. Là encore, nous sommes bien pauvres pour aimer comme Lui, et pourtant nous savons quel modèle nous est donné. Non pas une philanthropie distante qui ne se mouille pas trop, mais un amour tendre qui se donne, qui touche et console. Non pas un amour faux où la fin justifie les moyens, mais un amour qui s’interdit de faire le mal dans l’illusion d’en tirer du bien. Un amour qui accepte de se perdre pour rien en apparence, comme le parfum répandu sur les pieds de Jésus, comme la vie toute donnée de saint Charles de Foucauld, dans la certitude que rien n’est perdu pour Dieu, qui saura faire porter du fruit à toutes nos offrandes cachées dans le secret.
Rendons grâce car Dieu nous a fait connaître qui Il est, ce qu’Il nous promet, et qu’Il nous invite à prendre une part active à sa gloire. Amen.
Alexandre-Marie Valder