Embrasser à deux mains

Embrasser à deux mains

Embrasser à deux mains

Nous avons besoin de deux bras, de deux mains, pour embrasser vraiment quelqu’un. Saint Irénée de Lyon, au IIe siècle, désignait le Verbe et l’Esprit, comme les deux mains du Père. Le Père tend les mains vers nous pour nous embrasser. Chacune de ses deux mains, sa Parole et son Esprit, renvoie l’une vers l’autre, et les deux nous attirent vers le cœur du Père.

Dans la première lecture, nous voyons comment l’Esprit renvoie vers le Verbe, c’est-à-dire vers Jésus. Un mot de contexte tout d’abord. Corneille, centurion romain, homme juste et religieux, a reçu en vision l’ordre de faire venir Pierre et de l’écouter. Pierre, de son côté, a reçu de l’Esprit Saint l’assurance d’entrer chez un païen sans craindre de se souiller à son contact.

Arrivé chez Corneille, Pierre lui a annoncé le kérygme, le cœur de la foi : Jésus est le Seigneur ; il est mort et ressuscité pour toi ; le baptême fait entrer dans la vie. Et c’est alors que l’Esprit Saint  – encore lui ! – c’est-à-dire le souffle vivant et vivifiant du Dieu d’Israël descend sur des païens, des non-juifs, des gens réputés impurs. Ensuite, pour la première fois, des païens reçoivent le baptême au nom de Jésus.

En effet, comme le comprend Pierre, « Dieu accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes. » Pour être sauvé, rien d’autre n’est demandé aux hommes et aux femmes que de reconnaître, même confusément, la seigneurie de Dieu, et d’agir selon le bien. Souvent, nous chrétiens, nous nous satisfaisons que les gens autour de nous soient de braves gens, et tant pis s’ils ne connaissent pas Jésus.

Pour le Père, une seule main ne suffit pas. Agir en faisant ce qui est bon, c’est bien. Connaître personnellement celui qui est le Bien, être son ami intime, c’est mieux. Sans cela, celui qui agit selon le bien court le risque du subjectivisme. Il voit midi à sa porte. « Est bien ce que je considère comme tel. » Et nous voyons aujourd’hui quelles terribles choses se préparent sous le couvert de la fraternité et de l’amour.

L’Esprit Saint a donc conduit Corneille à Pierre pour qu’il lui fasse connaître Jésus, et le Père l’a embrassé de ses deux mains.

Dans la deuxième lecture et dans l’Évangile, c’est plutôt Jésus qui conduit ses disciples à l’Esprit. Les disciples connaissent Jésus et le reconnaissent comme le Seigneur. Dans sa lettre, Jean confesse le kérygme, le cœur de la foi : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, en sacrifice de pardon pour les péchés, pour que nous vivions par lui.

Mais le don de Dieu va plus loin. Non seulement Dieu nous aime, mais il veut nous faire participer à sa propre vie, à ce qu’il est intimement. Or Dieu est amour et il met en nous son propre amour, son Esprit Saint, afin que nous aimions de ce même amour. S’il n’y avait pas l’Esprit Saint, comme Jésus serait pervers de nous commander de nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés ! Comment pourrait-il nous commander de donner notre vie pour nos frères et sœurs sans nous donner en même temps la grâce de le faire ?

L’Esprit est à l’œuvre dans la vie de ceux et celles qui, jour après jour, s’efforcent de demeurer dans l’amour de Jésus par la prière, l’écoute de la Parole, la vie sacramentelle, la vie fraternelle. Nous en voyons les fruits chez les grands saints. Sainte Thérèse de Lisieux, saint Charles de Foucauld, saint Padre Pio, mais aussi les saints et les saintes de la porte d’à-côté sont des transfigurés, des buissons ardents, des témoins de l’œuvre de l’Esprit Saint.

Inversement, nous avons tous autour de nous de ces chrétiens qui « ont tout fait », leur baptême et leurs deux communions, et qui « savent tout ça », parce qu’ils ont fait leur catéchisme. De la même manière que nous nous satisfaisons parfois que les gens autour de nous soient juste de braves gens, il nous arrive de nous satisfaire d’une connaissance tout extérieure sur Jésus, quelque chose de superficielle qui ne change pas la vie.

Pour le Père, une seule main ne suffit pas. Connaître de l’extérieur qui est Jésus, ce qu’il a dit, ce qu’il a fait, c’est bien. Être habité du même amour que lui, de cet amour qu’est Dieu, nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés, c’est mieux. Sans cela, celui qui connaît des choses sur Jésus court le risque de la paresse. Il sait, mais il ne fait rien. Il peut toujours se convaincre qu’il connaît Dieu, mais « celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. »

Pour le Père, une main ne suffit pas pour embrasser ; il lui faut les deux, son Verbe et son Esprit. Nous qui connaissons le Seigneur Jésus, qui essayons de le suivre, de garder ses commandements, de nous nourrir de sa vie par la parole et les sacrements, rendons-nous dociles à l’Esprit Saint à l’approche de la fête de la Pentecôte.

Demandons à l’Esprit lui-même de nous rendre souples sous sa main, de faire que notre attachement au Seigneur Jésus devienne une vie intime et non des observances extérieures. Cela ne se verra peut-être pas de manière spectaculaire. D’ailleurs, nous serons sans doute les derniers à nous rendre compte des fruits que l’Esprit Saint portera dans notre vie : fruits de justice, de paix et de joie.

Prions aussi ce même Esprit Saint, qui est à l’œuvre dans le cœur de tant d’hommes et de femmes de bien, les Corneille d’aujourd’hui, de les conduire lui-même vers le Seigneur Jésus, afin que le Père puisse embrasser tous ses enfants à deux mains. Amen.

Père Alexandre-Marie Valder