Fais-moi une place

Fais-moi une place

Le 6 juillet 1535, Thomas More, ancien chancelier du roi d’Angleterre, était décapité à Londres. Erudit et homme politique de premier plan, marié et père de quatre enfants, il payait de sa vie son opposition à la mainmise du roi Henri VIII sur l’Église.

Le 9 août 1943, Franz Jägerstätter subissait le même sort à Berlin. Simple fermier autrichien, profondément catholique, il avait obstinément refusé de servir dans l’armée du IIIe Reich. Il laissait une femme et trois jeunes enfants.

L’année précédente, le 9 août 1942, Thérèse-Bénédicte de la Croix mourait dans les chambres à gaz du camp d’Auschwitz. Née dans une famille juive, elle avait bravé l’incompréhension des siens afin de répondre à l’appel du Christ.

Trois cents ans plus tôt, en 1610, Jeanne de Chantal, ayant élevé ses quatre enfants, quittait sa famille et sa Bourgogne natale afin de répondre elle aussi à l’appel du Christ et fonder l’ordre de la Visitation Sainte-Marie.

Thomas More, Franz Jägerstätter, Thérèse-Bénédicte de la Croix, Jeanne de Chantal, mais aussi François et Claire d’Assise, Thomas d’Aquin et tant d’autres dont l’histoire n’a pas retenu le nom… Quelle perte pour le monde s’ils n’avaient pas eu le courage d’affronter l’incompréhension ou même l’hostilité de leur entourage pour suivre le Seigneur Jésus jusqu’au bout de l’amour !

D’ailleurs, Jésus lui-même n’avait-il pas fait cette même expérience ? Un jour, ses proches se mettent à sa recherche pour se saisir de lui, croyant qu’il a perdu la tête (Marc 3,21). Mais la mission confiée par son Père est plus impérieuse que tout attachement amical ou familial. Sans cesse, Jésus quitte le lieu où il se trouve afin d’aller ailleurs. Être en sortie, comme nous y invite si souvent le pape François, c’est aussi accepter d’affronter l’incompréhension de ceux qui voudraient nous garder à l’intérieur. Pour préserver le lien de communion avec le Seigneur, il faut parfois tirer sur d’autres liens.

 Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’Évangile d’aujourd’hui nous concerne de très près. Combien autour de nous – et je sais qu’il y en a parmi nous – tiennent bon dans la foi, prient, participent à la messe, donnent aux pauvres, luttent contre leurs petits et grands défauts, témoignent de l’Évangile en paroles et en actes, et cela en dépit des regards moqueurs, des sourires narquois et des remarques parfois acides d’un époux, d’une épouse, d’un enfant, d’un ami ?

Soyons dans la joie : aucun de ces actes de fidélité ne passe inaperçu aux yeux du Seigneur. Jésus nous le rappelle : celui qui donne à boire à un disciple assoiffé recevra une récompense. Combien plus celui ou celle qui donnera au Maître ce dont il a soif !

Et de quoi le Maître a-t-il soif ? De quoi le Seigneur Jésus a-t-il soif ? Il a soif d’être accueilli par nous, il a soif que nous lui réservions une place dans notre vie : dans notre semaine, par le rendez-vous hebdomadaire de la messe ; dans nos journées, par le rendez-vous quotidien de la prière ; dans nos maisons, par une croix, une icône, une statue ; dans notre intelligence, lorsque nous cherchons à mieux le connaître, lorsque nous accueillons la parole de ceux qui parlent en son nom ; dans notre cœur, lorsque nous accueillons celui ou celle qui, ici et maintenant, a besoin d’un sourire, d’une parole, d’une pièce, d’un service.

 Fondamentalement, le Seigneur Jésus a soif d’être en relation avec chacun de nous. Saint Paul nous rappelle que, par le baptême, nous avons été unis au Christ Jésus. Puisque nous avons été unis au Christ par le baptême, vivre séparés de lui est comme contre-nature.

Nous avons besoin de Jésus, de sa Parole, de sa présence, de sa proximité, de sa tendresse. Le pape François nous le dit avec ses mots simples et percutants (Desiderio desideravi n°11) : « Nous avons besoin de Lui. Dans l’Eucharistie et dans tous les Sacrements, nous avons la garantie de pouvoir rencontrer le Seigneur Jésus et d’être atteints par la puissance de son Mystère Pascal. La puissance salvatrice du sacrifice de Jésus, de chacune de ses paroles, de chacun de ses gestes, de chacun de ses regards, de chacun de ses sentiments, nous parvient à travers la célébration des sacrements […]. Le Seigneur Jésus, immolé, a vaincu la mort ; mis à mort, il est toujours vivant ; il continue à nous pardonner, à nous guérir, à nous sauver avec la puissance des Sacrements. C’est la manière concrète, par le biais de l’incarnation, dont il nous aime. C’est la manière dont il étanche la soif qu’il a de nous. »

 Frères et sœurs, le Seigneur Jésus a soif de nous ; il a soif que nous ayons soif de lui. Il veut établir avec tout homme et toute femme une relation personnelle. Aux yeux du Seigneur, chacun est unique et irremplaçable. Aux yeux du Seigneur, rien ne compte davantage que cette amitié. Pour la restaurer et la maintenir, il s’est livré lui-même à la mort ; il est allé jusqu’au bout de l’amour en notre faveur. « Fais-moi une place, nous dit-il. Accueille-moi aujourd’hui dans ta vie, que je puisse t’accueillir demain dans la mienne. Fais-moi une place. »

La femme de Sunam et son mari avaient réservé dans leur maison une pièce pour le prophète Élisée. Thomas More, Franz Jägerstätter, Thérèse-Bénédicte de la Croix, Jeanne de Chantal et bien d’autres ont eu la force de donner la première place au Seigneur Jésus dans leur vie. Peut-être n’en sommes-nous pas encore là… qu’importe ! Commençons petitement mais avec assurance : un temps de prière régulier, la lecture de la Bible, une visite à l’église, la confession, la participation à la messe.

Accueillons le Seigneur et laissons-nous accueillir par lui.

Père Alexandre-Marie Valder