Frères, soyez toujours dans la joie du Seigneur

Frères, soyez toujours dans la joie du Seigneur

« Frères, soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie. » A première vue, il semble étrange de nous enjoindre d’être dans la joie, comme s’il suffisait de le vouloir pour être joyeux. Ceci dit, si la Parole de Dieu s’adresse à nous en ces termes, nous ne pouvons pas non plus la balayer d’un revers de main dédaigneux.

Notre époque foisonne de pratiques, de techniques et de recettes qui nous promettent le bonheur. La foi chrétienne n’est pas l’une d’entre elles. Être chrétien, profondément chrétien, cela donne de la joie, mais comme un cadeau en surcroît. L’essentiel, c’est d’être uni à Dieu en Jésus-Christ par la charité, d’être un ami de Dieu. Une joie sensible vient souvent s’y ajouter, mais pas à chaque fois et pas en permanence. Passer du temps avec un ami nous rend heureux, mais quels amis serions-nous si nous passions du temps avec lui uniquement pour notre petit bonheur individuel.

La joie est un don ; nous ne pouvons pas la fabriquer. Nous pouvons essayer d’éloigner de nos vies trois ennemis de la joie : l’amertume, le découragement et la satiété.

 Contre l’amertume, faire mémoire.

Faire mémoire, c’est un peu l’ADN du peuple d’Israël, et donc de l’Église qui hérite de lui. La Bible est née de ce que les amis de Dieu ont fait mémoire des merveilles que le Seigneur avait faites pour eux et des épreuves qu’ils avaient traversées avec lui. Faire mémoire doit nous aider à poser un regard positif sur le présent.

C’est là que se joue la différence entre « faire mémoire » et « ressasser le passé ». Exemple : « Ah mon père ! Dans le temps, y avait la messe tous les dimanches dans mon village ! Y avait des processions ! Y avait cent enfants à la première communion ! Tout ça, c’est fini : qu’est-ce qu’on va devenir ? » Cela, c’est ressasser. Faire mémoire, ce serait plutôt : « Seigneur Jésus, dans le temps, nous voyions ton Esprit à l’œuvre à travers le dynamisme de nos paroisses. Aujourd’hui comme autrefois, c’est ta main qui conduit toute chose, même si nous ne le voyons pas. Guidés par toi, nous abordons l’avenir avec confiance. »

« Confiance, disait sainte Thérèse, c’est la main de Jésus qui conduit tout. » Chaque fois que l’amertume nous guette, faisons cet exercice de mémoire : le Seigneur a de la suite dans les idées, il a conduit son peuple jusqu’à aujourd’hui et il le mènera vers le salut pleinement accompli. Malgré la détresse dans laquelle se trouve son peuple, le prophète Sophonie ose lui adresser de la part du Seigneur cette promesse de bonheur : « Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi, de tout ton cœur bondis de joie, fille de Jérusalem ! Le Seigneur a levé les sentences qui pesaient sur toi, il a écarté tes ennemis. Le roi d’Israël, le Seigneur, est en toi. Tu n’as plus à craindre le malheur. »

 Contre le découragement, exercer son regard de foi.

Notre vocation chrétienne est d’être des amis de Dieu, des intimes de Dieu. Cette vocation à la sainteté n’est pas réservée à une élite, elle est offerte à tous. Réaliser cette intimité n’ira pas sans épreuves : Dieu nous prépare patiemment à être tout à lui, il nous taille et nous polit comme les pierres précieuses que nous sommes à ses yeux. Si les diamants avaient la conscience, peut-être chercheraient-ils à s’enfuir de la joaillerie. Et nous, est-ce que nous n’essayons pas bien souvent de faire de même ?

Les contrariétés du quotidien vont éprouver notre fidélité et notre amour pour Dieu. Tel imprévu, tel retard, tel fâcheux – pour ne pas dire tel emmerdeur – vont nous révéler que nous ne sommes pas encore aussi doux, patients et bienveillants que nous le pensions. Si nous osons les regarder avec les yeux de la foi, toutes ces petites croix du quotidien sont autant d’attentions de la part du Seigneur qui s’efforce, petit à petit, d’enlever nos scories pour faire apparaître l’être précieux que nous sommes à ses yeux.

Ou bien nous nous rebellons, nous nous débattons, nous regimbons, ou bien nous devinons que ces circonstances qui nous contrarient sont justement ce dont Dieu se sert pour nous attirer à lui. Nous pourrons alors les considérer d’un tout autre œil et garder le cœur ouvert à la joie. Même lorsque Dieu semble absent, osons redire avec le prophète Isaïe : « Jubilez, criez de joie, habitants de Sion, car il est grand au milieu de toi, le Saint d’Israël ! »

 Contre la satiété, creuser le désir de la béatitude.

L’ami de Dieu ne doit pas être quelqu’un de satisfait, de rempli, de repu, mais quelqu’un qui désire toujours davantage. Nous, les amis de Dieu, nous osons désirer davantage, car le Seigneur nous l’a promis. Frères et sœur, lorsque nous prions, ayons de grands désirs, ayons le désir d’aimer beaucoup, d’être de grands saints.

Dans l’Évangile d’aujourd’hui, les foules questionnent Jean le Baptiste : « Que devons-nous faire ? », et les publicains : « Maître, que devons-nous faire ? », et les soldats : « Et nous, que devons-nous faire ? » Un signe sûr de ce que le Seigneur nous appelle à aimer, c’est qu’il suscite en nos cœurs ce même désir de faire quelque chose pour être meilleur, pour aimer davantage. Le temps de l’Avent est par excellence le temps où nous creusons en nous le désir de celui qui doit venir, le Christ : « Moi, je vous baptise dans l’eau, disait Jean, mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. »

Chrétiens, notre vocation, notre destination finale ne s’appelle pas confort, bien-être ou contentement, mais béatitude éternelle.

 Amertume, découragement, satiété : trois mauvaises herbes qui peuvent coloniser notre potager intérieur et empêcher la joie d’y pousser. Frères et sœurs, amis de Dieu, faisons mémoire des bienfaits que le Seigneur a accompli pour nous et pour le monde entier et soyons sûrs qu’il n’est pas près d’arrêter… osons regarder nos contrariétés quotidiennes non comme une preuve que Dieu nous a lâchés, mais comme une attention spéciale de sa part pour nous faire faire un pas de plus vers lui… creusons le désir d’être toujours plus proches de lui, ses amis, ses intimes. «  Soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie. »