Guerre et paix
La prophétie de Zacharie que nous venons d’entendre nous est familière. Elle annonce l’entrée pacifique et joyeuse de Jésus à Jérusalem. Le Seigneur Jésus est ce roi qui « fera disparaître d’Ephraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l’arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. »
Attention à ne pas nous tromper de paix. De quelle paix s’agit-il ? D’une paix exigeante ou d’une paix paresseuse ? D’une paix profonde ou d’une paix superficielle ?
L’auteur du livre de la Sagesse, un Juif pieux qui écrivait peu avant l’époque de Jésus, a des paroles lucides à propos des païens au milieu desquels il vit : « Alors que leur vie est pleine de conflits dus à l’ignorance, ils donnent le nom de “paix” à ces fléaux si grands(Sg 14,22). » Et d’énumérer des fléaux ô combien d’actualité : meurtres d’enfants – auxquels nous pourrons bientôt ajouter celui des vieillards et des malades –, mystères occultes – voyons le regain d’intérêt actuel pour la magie –, délires et cortèges au cérémonial extravagant – marches blanches ou marches arc-en-ciel –, adultère, sang et meurtre, vol, fraude, corruption, déloyauté, sédition, parjure… et je vous passe la suite de la liste.
La paix que nous propose notre société est cette paix paresseuse et superficielle, faite de compromissions, achetée à coup d’argent déversé sur les banlieues ou d’accords internationaux avec des dictateurs. Souvenons-nous que, déjà en 1938, Français et Anglais se félicitaient d’avoir vendu la Tchécoslovaquie pour acheter la paix avec le chancelier allemand.
Au contraire, la paix véritable nécessite de regarder à long terme, bien au-delà du 20h de TF1, et de mettre en lumière la racine des problèmes. Nos évêques nous l’ont bien rappelé dans leur message de la semaine dernière : « Qu’au-delà même des explosions actuelles, notre société sache identifier avec lucidité les sources de la violence et trouver les moyens de la dépasser. »
Ne nous y trompons pas : à notre petite échelle aussi, nous faisons le jeu de cette paix en carton-pâte. La racine des guerres plonge dans la terre de notre cœur.
Il y a une certaine recherche de l’apparence qui ne va pas dans le sens de la vraie paix, lorsque nous cherchons le repos dans ce que nous possédons, dans ce que nous montrons de nous, dans ce que nous savons, dans ce que nous accomplissons.
Il y a bien sûr une certaine tolérance, une certaine ouverture, un certain vivre-ensemble qui ne vont pas dans le sens de la vraie paix, lorsque nous refusons de dire « Cela ne va pas ! Cela est intolérable ! », lorsque même nous nous interdisons de seulement le penser.
Et il y a même un certain don de soi qui ne va pas dans le sens de la vraie paix, lorsque nous sommes pris par l’activisme et que nous devenons finalement amers à force de nous donner sans jamais recevoir, ou simplement nous poser.
Recherche de l’apparence, tolérance à bon compte, charité mal ordonnée et bien d’autres travers constituent une sorte de nouveau pharisaïsme, un joug, un fardeau qui écrase : « Sois parfait ! Sois toujours à la page ! Sois ouvert ! Sois généreux ! »
« Venez à moi,vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. » La paix de Jésus est une paix véritable, profonde mais exigeante. Il y a un joug qui nous oblige à marcher au même pas que Jésus, sans traîner paresseusement en arrière et sans vouloir courir plus vite que Jésus. « Passe derrière moi, Satan ! » a-t-il dit un jour à Pierre.
La paix de Jésus s’obtient au terme d’un véritable combat qui est d’abord une ascèse personnelle, un combat spirituel dont chacun est le champ de bataille. C’est un combat à mort, comme nous le disait saint Paul : « Si, par l’Esprit, vous tuez les agissements de l’homme pécheur, vous vivrez. »
Il en va comme du jardinage, en fait. L’ascèse – c’est-à-dire l’exercice intérieur – arrache les mauvaises herbes : colère, mensonge, jalousie, paresse, désir de paraître, désir de s’imposer, désir d’utiliser l’autre, convoitises diverses, excès dans la nourriture, la boisson, etc. etc.
L’ascèse mobilise notre personne tout entière : l’intelligence pour juger du bien et du mal, la mémoire pour apprendre du passé, l’imagination pour anticiper l’avenir, la volonté pour agir, sans oublier d’impliquer les passions, les émotions, et bien sûr le corps sans lequel tout effort reste bien théorique.
Arracher les mauvaises herbes n’a de sens que si l’on sème de bonnes graines en posant des actes concrets qui vont dans le sens de l’Esprit de Dieu qui habite en nous depuis notre baptême : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, douceur, fidélité et maîtrise de soi.
Tout cela germe dans un sol détrempé par la prière, une prière qui n’est pas une affaire de performance – prier plus, prier mieux – mais d’abord de fidélité – prier chaque jour. N’ayons pas peur de l’oraison silencieuse : accepter de ne rien faire, sinon de faire silence, d’être là et de se laisser faire, sans souci d’efficacité.
Et ne laissons pas de côté les passions, les émotions et le corps : repos, bonnes lectures, beaux paysages et bonne compagnie, tout cela sème de bonnes graines dans la terre que nous aurons préparée avec l’aide du Seigneur.
« Ce que tu as caché aux sages, tu l’as révélé aux tout-petits. » La paix de Jésus, la véritable paix, est la paix de l’enfant qui accepte d’avoir toujours besoin de Dieu, d’être – oh l’horrible mot pour nos contemporains ! – dépendant de Dieu.
Le psaume 130 le dit bien : Seigneur, je n’ai pas le cœur fier, ni le regard hautain. Je n’ai pas pris un chemin de grandeurs ni de prodiges qui me dépassent. Non, je tiens mon âme en paix et silence ; comme un petit enfant contre sa mère, comme un petit enfant, telle est mon âme en moi. Mets ton espoir, Israël, dans le Seigneur, dès maintenant et à jamais !
Père Alexandre-Marie Valder