homélie du 12 septembre
Il y avait une famille chrétienne, simple et croyante. On priait, on recevait les sacrements, on s’efforçait de vivre selon le bien et de servir ses frères. Un jour le père dit à son curé : « M. le curé, une seule chose nous manque. Jésus a bien dit que l’on ne pouvait être son disciple sans porter sa croix. Or tout va bien pour nous. Sommes-nous bien ses disciples ? » Histoire vraie.
Dans l’Évangile d’aujourd’hui, le Seigneur se fait reconnaître de ses disciples, de Pierre en particulier, comme le Christ, le Messie, le Sauveur de son peuple. Attention cependant : c’est un chemin paradoxal que Jésus va emprunter, le chemin de la croix. Ceux qui veulent être ses disciples ne peuvent pas prendre un autre choix. En résumé : pas d’croix, pas d’chocolat.
Si je désire risquer aujourd’hui quelques mots sur la place de la croix, et donc de la souffrance, dans la vie chrétienne, ce n’est donc pas par goût du morbide, mais en partant de l’Évangile. Comment en tirer une parole de consolation pour ceux connaissent la souffrance, pour nous tous en fait, puisque, comme l’écrit S. Jean-Paul II, la souffrance « est quasi inséparable de l’existence terrestre de l’homme » ? Le saint pape, qui parlait d’expérience, ose même employer à plusieurs reprises l’expression d’« Evangile de la souffrance ». Moi, au contraire, je suis bien petit pour parler de ce mystère. J’expérimente la maladie, le deuil, l’échec, l’angoisse, certes, mais bien moins que la plupart ici. Je ne veux que nous inviter à regarder Jésus en croix.
En premier lieu, il faut affirmer que, si nous les chrétiens, nous osons parler de la souffrance et de la mort, si nous ne craignons pas de les regarder en face, c’est parce que nous partons de la certitude de la Résurrection. Nous savons que la souffrance et la mort ne sont pas voulues par Dieu, que dans la Pâque de son Fils, il leur a porté un coup fatal, et qu’elles seront définitivement vaincues.
Deuxièmement, quand nous éprouvons la souffrance (maladie, deuil, échec, etc.), nous nous posons la question du pourquoi. Nous portons parfois une responsabilité dans les souffrances dont nous ou d’autres sont affligés (mesures sanitaires, changement climatique, conduite automobile, etc.) mais n’absolutisons pas. Jésus sur la croix, Jésus innocent et souffrant, est devenu le chef de file de tous ceux qui souffrent sans faute de leur part. En choisissant la croix, Jésus n’a pas supprimé la souffrance, mais il l’a remplie de sa présence, il a associé indissolublement souffrance et don de soi par amour. Depuis le jour du Golgotha, celui qui souffre n’est jamais seul.
Pour celui ou celle qui souffre – c’est à nouveau S. Jean-Paul II qui en parle – c’est une libération de pouvoir surmonter le sentiment d’absurdité et d’inutilité de la souffrance. Depuis que Jésus a fait de sa croix le moyen du salut pour tous, alors celui ou celle qui s’associe à lui, dans les petites peines comme dans les grandes, participe mystérieusement avec lui au salut du monde. Comme l’écrira S. Paul aux Colossiens : « Ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. » Si vous me permettez cette image triviale, le Christ en croix, comme une sorte de brocanteur, reçoit et valorise même ce qui semble le plus inutile de nos vies.
Troisièmement, les croix de nos vies doivent nous apparaître comme des épreuves, au sens premier : ce qui vérifie la qualité de notre foi. Toute souffrance nous tourne vers Dieu. Est-ce que ce sera pour affirmer notre confiance en lui, comme le font le prophète et le psalmiste aujourd’hui ? « Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours… je sais que je ne serai pas confondu… je marcherai en présence du Seigneur, sur la terre des vivants. » De ce passage du prophète Isaïe, les frères de Taizé ont tiré un chant qui dit « Voici Dieu qui vient à mon secours/Le Seigneur avec ceux qui me soutiennent/Je te chante, toi qui me relève/Je te chante, toi qui me relève. » En dirons-nous autant ? Et S. Augustin, après avoir décrit comment un même creuset sépare ce qui est bon de ce qui ne l’est pas, conclut en disant : « Tant importe, non ce que l’on souffre, mais de quel cœur on souffre ! »
Il en est ainsi pour nous. Le Seigneur nous demande, non pas de choisir la souffrance, mais de ne pas la fuir, car elle éprouve et vérifie notre attachement à lui : « Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. »
Quatrièmement et dernièrement, lorsqu’un homme ou une femme souffre, c’est rarement seul. Celui qui connaît la souffrance doit souvent faire le choix de l’ouverture ou du repli. Nous avons tous fait cette expérience, étant enfant, de nous blesser. Notre première réaction a souvent été, à la fois de pleurer pour demander de l’aide, et de refuser de montrer la blessure, parce qu’on s’était justement blessé avec le couteau ou le briquet auxquels il était interdit de toucher. Lorsque nous sommes en détresse, ayons l’humilité de demander et d’accepter l’aide qui nous est donnée. Trop de gens s’enferment dans leur souffrance au lieu de s’en ouvrir à d’autres.
Et lorsque c’est nous, disciples de Jésus, qui sommes témoins de la souffrance d’un frère, ayons le courage de nous porter vers lui, non avec des paroles seulement, mais avec des gestes de tendresse et de secours, comme le Bon Samaritain dans la parabole bien connue, en suivant les sommations sévères de l’apôtre saint Jacques : « La foi, si elle n’est pas mis en œuvre, est bel et bien morte ! » Notre attitude devant la souffrance de l’autre est aussi une épreuve qui vérifie la qualité de notre foi.
En conclusion, je résume mes quatre points. S’il ne faut pas la rechercher pour elle même, la souffrance est le passage obligé pour tous ceux qui veulent suivre le Seigneur Jésus. 1 – Ne la redoutons pas : nous croyons et nous savons qu’elle n’aura pas le dernier mot. 2 – Soyons bien sûr que la souffrance que nous ne pouvons éviter, associée à la croix de Jésus, porte un véritable fruit de salut pour le monde. 3 – Le disciple du Christ sait que la croix est une épreuve qui vérifie, purifie et fortifie sa patience, sa foi, son espérance et sa charité. 4 – La souffrance est souvent l’occasion d’accueillir avec humilité le service d’un autre, ou bien de nous porter au service de celui qui souffre.
Et je conclus avec les mots de S. Jean-Paul II : « Le Christ n’explique pas abstraitement les raisons de la souffrance, mais avant tout il dit : “Suis-moi ! Viens ! Prends part avec ta souffrance à cette oeuvre de salut du monde qui s’accomplit par ma propre souffrance ! Par ma Croix !”