Homélie du 3 octobre

Homélie du 3 octobre

Communion et conversion. En tant qu’êtres humains, nous sommes appelés à rien de moins qu’à la communion parfaite avec Dieu. Une communion qui s’anticipe ici-bas, comme nous le rappelait le verset chanté avant l’Évangile : « Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous ; en nous, son amour atteint la perfection. » Nos communautés d’ici-bas, nos familles, nos groupes d’amis, nos paroisses, notre communauté nationale sont l’anticipation de cette communion. Elles en sont aussi le test, l’épreuve : inutile de nous bercer de mots sur la communion avec Dieu si nous ne la vivons pas déjà entre nous ici !

Une authentique communion porte des fruits missionnaires. Dans les premiers temps de l’Église, en voyant comment vivaient les chrétiens, leurs voisins païens pouvaient dire « Voyez comme ils s’aiment ! » et cela les attirait au Christ. Au contraire, lorsque nous constatons que nous n’arrivons pas à vivre la communion, lorsque nous nous divisons, cela doit nous inviter à une conversion toujours renouvelée. Le pire qui puisse nous arriver est de nous figer, de nous paralyser. Cela nous arrive lorsque nous nous laissons emprisonner soit par l’esprit de rigorisme, soit par l’esprit de laxisme.

Le rigorisme nous fait croire que tout est blanc ou noir, qu’il ne sert à rien de se convertir puisque nous ne serons jamais assez bien pour Dieu. Jamais nous ne serons plus blancs que blancs, alors à quoi bon donc faire effort pour se tourner vers Dieu ? Le laxisme ne connaît qu’une seule nuance de gris et nous dit au contraire : « Ce sera toujours assez bien pour le Bon Dieu, alors à quoi bon t’embêter ? »

A ces deux mauvais esprits qui nous paralysent, l’Évangile oppose la conversion : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ! » dira Jésus au tout début de sa prédication. En Jésus, Dieu s’est fait l’un de nous, il est venu entrer en communion avec nous pour que nous puissions entrer en communion avec lui. Comme le disait la lettre aux Hébreux : « Car celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine. » Et il nous donne part à son Esprit Saint pour nous attirer à lui, nous conformer à lui, petit à petit, mais jamais sans notre participation active.

Ce n’est pas pour rien que l’on appelle l’Eucharistie « la communion », car elle est l’anticipation, le signe et le moyen de cette communion parfaite avec Dieu et avec les frères. Voilà pourquoi on ne devrait jamais communier de manière distraite, sans y penser. Au contraire, chaque Eucharistie nous permet d’ajuster notre cap : est-ce que je désire la communion avec Dieu, dont cette communion eucharistique est le sacrement ? est-ce que ce désir se traduit dans ma vie ? ou bien est-ce que je reste figé dans telle attitude qui contredit la communion que je reçois ? Argent mal acquis, conflit de voisinage ou de famille, calomnie en paroisse, etc.

Je crois qu’il était nécessaire, dans le contexte actuel, de faire ce grand détour avant d’aborder plus directement les textes de ce jour. Le mariage, l’union de l’homme et de la femme, s’inscrit dans toute cette dynamique de communion et de conversion, et il y occupe une position éminente. Jésus nous rappelle le grand dessein de Dieu pour l’homme et la femme : tout quitter pour être entièrement l’un pour l’autre, pour ne former qu’une seule chair. Cette communion des âmes, des cœurs et des corps, cette alliance fondée sur une promesse irrévocable, c’est le projet de Dieu
pour tout homme. Ce que la Bible exprime par des mots écrits, les époux
l’expriment par leur vie entière ; et cette communion, approfondie chaque jour, porte un fruit merveilleux, dans les enfants, dans le rayonnement du foyer, dans le soutien mutuel que s’apportent les époux pour que l’autre soit le saint que Dieu l’appelle à être.

Si Jésus est exigeant vis-à-vis des époux, c’est parce qu’il prend le mariage à cœur. Il invite les époux à une conversion renouvelée en vue de la communion. Ceux qui ont déjà une certaine expérience du mariage ont constaté, et sans doute plus d’une fois, que le conflit, une fois surmonté par la conversion et le pardon, les avait rapprochés. Déjà à l’époque de Jésus, cette exigence faisait grincer des dents. Les textes d’aujourd’hui ne doivent pas nous faire oublier toutes les autres paroles de Jésus qui ont choqué ses auditeurs. Les pharisiens de notre temps nous conduisent à nous focaliser sur le mariage, comme si une vie conjugale « dans les règles » nous dispensait de tout autre effort de conversion. Lorsqu’il nous exhorte à nous
réconcilier avec nos frères avant de nous approcher de l’autel du Seigneur, chacun, marié ou non, est invité à faire le point sur la manière dont il vit la communion dans son travail, ses amitiés, etc.

S’il ne fallait retenir qu’un point, ce serait sans doute celui-ci : oui, Jésus nous exhorte à une conversion renouvelée, mais jamais il ne nous enferme dans nos échecs (et, une fois encore, je ne parle pas d’abord du mariage). Que ni le rigorisme, ni le laxisme ne nous empêchent d’avancer. « Rappelons-nous, écrit le pape François dans La joie de l’Évangile, qu’un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut-être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés. »

Où que nous en soyons, une authentique conversion est toujours possible. Elle exige de nous trois choses : 1° reconnaître le beau projet de communion que Dieu a pour nous, notre couple, notre famille, notre métier, notre engagement, etc. ; 2° reconnaître que notre vie n’est pas encore en plein accord avec ce projet et désirer la conversion ; 3° Discerner et accomplir, si nécessaire avec la médiation de la communauté chrétienne, le petit pas à accomplir pour plus de communion.

Si nous sommes ici rassemblés autour du Seigneur, ce n’est pas parce que nous sommes meilleurs que les autres hommes. Nous sommes pécheurs, et pourtant Jésus n’a pas honte de nous appeler ses frères, pour citer à nouveau la lettre aux Hébreux. Auprès de lui se trouve le pardon, la communion à sa vie. Gloire à lui dans les siècles des siècles. Amen !