« Il faut se savoir perdu pour être sauvé »

« Il faut se savoir perdu pour être sauvé »

« il faut se savoir perdu pour vouloir être sauvé ».

Finalement… Pourquoi parle-t-on d’une « Bonne Nouvelle » ? Et de cette joie qui en découle ? Et de cette lumière dans la nuit ?

Aurions-nous un poids, un « joug » à porter, dont nous serions délivrés ? Une « barre qui meurtrit nos épaules, et qui serait brisé ? ( Is.)

Un Sauveur ? Mais… un sauveur, … c’est quand nous sommes en perdition, … serais-je perdu sans le savoir ? … Ou peut-être suis-je perdu et je ne le sais que trop …

Madeleine Delbrêl, une femme qui a beaucoup oeuvré dans les années 40, 50, auprès des familles modestes d’Ivry sur Seine disait : « il faut se savoir perdu pour vouloir être sauvé ».

Imaginez la joie à l’arrivée d’un sauveteur en montagne qui vient à votre secours, parce que l’alerte a fonctionné, et l’alerte a fonctionné parce que vous avez reconnu… très humblement, que vous étiez perdu et peut-être à bout de force, voir paniqué.

Une des grandes maladies de l’être humain n’est pas tant le mal, subi ou commis, que le déni du mal, et le déni de la blessure.
Alors que sommes-nous venus vivre ici, ce soir ? Un moment d’émerveillement, une nostalgie de famille, une ambiance traditionnelle ? Pourquoi pas, et c’est en partie vrai.

Mais si ce n’est pas infiniment plus encore, nous nous privons de l’essentiel, de cette fameuse Bonne Nouvelle dont il est question……La joie de laisser tomber, devant ce Jésus désarmant, mon crépi, ma façade, toutes mes petites stratégies pour « sauver la face » alors qu’à l’intérieur de moi, mes blessures restent peut-être niées, cachées. Devant Dieu-fait-homme, tout ce paraître peut se déliter, sans crainte : Il connaît, lui seul, nos reins et nos cœurs.

Oui, ce soir, nous nous laissons toucher par un tel événement qui nous dépasse – mais acceptons-nous d’être dépassés ? C’est toute la question. 

Ce Dieu qui se fait l’un de nous, c’est Dieu qui se penche sur nous, c’est son visage qui nous considère, et qui offre son écoute, mieux encore, c’est Dieu habitant notre chair. Notre chair même, pas une autre qui aurait été « inventée » pour lui, notre chair faite pour le don reçu et donné, faite pour la joie, et pourtant si souvent déçue, ou meurtrie par les divisions, les séparations, les deuils aussi.

C’est cette même chair que Dieu, désormais, habite. Oh oui, bien discrètement, avec une délicatesse qui évite l’intrusion, qui ne veut pas nous étouffer.

A la sortie de la messe, une image de la Vierge Marie du XIII° s ( de l’abb de Fontenay) tenant son enfant va vous être proposée. Regardez bien ces sourires, complices, des deux visages se regardant, Jésus tirant de sa main droite le voile de sa mère. Et bien, l’incarnation, c’est ça ! Ce n’est pas un mot qui nous tombe dessus comme on entend parfois, avec l’abus du mot « dogme »), ce sont ces deux visages par lesquels la Vie passe…

…Oui, la Vie divine elle-même transmise dans notre chair !

Aurons-nous assez de simplicité aujourd’hui, pour nous laisser dépasser ? Aurons-nous assez de simplicité aujourd’hui pour consentir à cet événement inouï ? Mais notre création elle-même n’est-elle pas déjà inouï ?

Il y a quelque chose d’insolent dans cet événement de la Nativité, quelque chose comme un défi, un sursaut : Pas de place pour cette petite famille en ce monde, avec un enfant à naître en danger de mort, poursuivis par Hérode. Et pourtant, l’enfant montre sa frimousse à ce monde hostile ; il surgit dans la nuit comme une vie nouvelle, une vie quand même, une vie malgré tout, sans gêne, une vie que personne n’a vraiment inventée, une vie donnée.

Et… par ce fils d’homme – fils de Dieu, une vie qui sera donnée jusqu’au bout ! Jusqu’au sacrifice par amour pour ses créatures qui pensent ne pas avoir besoin de Lui !
Quand bien même nous penserions ne pas avoir besoin de Lui ; Lui, Jésus, sait combien nous avons besoin de Lui pour aimer vraiment, durablement, et même éternellement.

Saurons-nous aujourd’hui faire de la place à un tel Sauveur rempli d’une telle délicatesse, d’une telle tendresse ?
Saurons-nous lui présenter nos vies, nos histoires, belles et aussi très blessées, nos lieux obscurs qui ont besoin de sa lumière ?

Ne craignons pas ces vrais soifs en nous, ne fuyons pas ces petits moments de solitude aujourd’hui arrachés à la saturation numérique, ces petits espaces libres, vacants, par lesquels Dieu a une petite chance de se faire entendre lors de sa visite, en nous.

Oui, en cette nuit de la naissance de Dieu dans notre chair, une joie veut ébranler notre carapace, la joie d’une vie insolente, plus forte que nos peurs, et qui nous fait relever nos têtes.

Merci, Seigneur, d’être là, l’un de nous, parmi nous, en nous.

Père Marc Haeussler