Jeudi saint : se laisser toucher par Jésus
« Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi », répond Jésus à Pierre qui refusait qu’il lui lave les pieds. Elle est dure, cette parole de Jésus ; comment la comprendre ?
Alors que l’Évangile touche à sa fin, nous avons constaté que le monde s’est polarisé. Il y a autour de Jésus deux sortes de personnes, et il ne peut pas y en avoir davantage.
Il y a d’abord ceux que Jésus a touchés dans leur corps, qu’il a guéris et relevés, consolés et réconciliés : la femme de Samarie et ses concitoyens, le fonctionnaire royal dont le fils était malade, le paralytique et l’aveugle-né, Lazare bien sûr. On peut y adjoindre le pharisien Nicodème, remué par les paroles de Jésus, et même les convives des noces de Cana, et tant d’autres dont l’Évangile n’a pas gardé trace. Tous se sont reconnus pauvres, tous ont dit leur besoin d’être sauvés et se sont laissés toucher par Jésus.
A côté de ceux-là, il y ceux qui sont restés à distance de Jésus : surtout ne pas se dévoiler, surtout ne pas reconnaître sa vulnérabilité et ses péchés, surtout ne pas se laisser bousculer, surtout ne rien changer, surtout ne pas se laisser toucher par Jésus.
Les apôtres, eux, semblent n’appartenir à aucune de ces catégories : ils suivent Jésus de près, mais on ne dit pas que Jésus les ait touchés, guéris. Oui, ils accompagnent Jésus. Oui, ils l’aident à accomplir son ministère de guérison et de salut. Il ne faudrait pas toutefois qu’ils se croient différents des autres. Il ne faudrait pas qu’ils oublient qu’ils sont d’abord et avant tout du côté de ceux qui ont besoin d’être sauvés. C’est ce qu’exprimait le pape François lors d’une de ses premières apparitions publiques : « Je suis un pécheur sur lequel le Seigneur a posé son regard. »
Alors Jésus fait asseoir ses apôtres, il revêt l’habit du serviteur et il s’agenouille devant eux ; il prend dans ses mains très saintes – les mains de Dieu – leurs pieds sales, fatigués, écorchés ; avec sollicitude, il les lave et les essuie ; peut-être même y dépose-t-il un baiser, comme on le faisait dans l’ancien rituel du jeudi saint.
Et nous frères et sœurs, où en sommes-nous ?
Sommes-nous de ceux qui se laissent toucher, laver, embrasser par le Seigneur, ou bien restons-nous à distance ? Peut-être que, comme Pierre, nous avons une si haute idée de Jésus que nous ne voulons pas lui permettre de s’abaisser. Qui sommes-nous pour poser des limites à Dieu ? Peut-être aussi que nous avons une si haute idée de nous-mêmes que nous n’estimons pas nécessaire d’être pris en charge par le Seigneur.
« Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi », dit Jésus. Tu peux bien t’engager, te dépenser, parler de moi, mais si c’est pour te croire au-dessus de lot commun, en quoi es-tu mon disciple ? Si tu ne veux pas te mettre au rang des malades, des blessés, des égarés et des pécheurs, si tu ne prends pas place parmi ceux-là pour qui je suis venu, alors la porte de ton cœur me reste close et je me refuse pour toujours à la forcer pour entrer. «Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. »
« Je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. » Ce repas que nous prenons avec Jésus, ce n’est rien d’autre que lui-même. L’eucharistie n’est ni un souvenir ni un symbole : c’est Jésus lui-même, son corps livré et offert pour que nous ayons la vie éternelle. « Il vit le Christ, et il te veut vivant », écrivait le pape François dans son exhortation apostolique de 2019.
Notre manière concrète de recevoir l’eucharistie dit beaucoup de notre attitude intérieure. Certains la revendiquent comme une prime au mérite et s’en emparent comme d’un dû. Au contraire, si nous nous sommes effectivement rangés du côté des pauvres, du côté de ceux qui ont accepté de se laisser laver par Jésus, c’est alors avec humilité, comme un don immérité, que nous recevrons l’eucharistie. « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir… »
Au moins aujourd’hui, soignons notre geste de communion. Recevons le Christ qui se livre entre nos mains.
Aujourd’hui, nous faisons mémoire du jour où le Seigneur Jésus a confié à ses apôtres la mission de perpétuer son sacrifice. Grâce au ministère ordonné, Jésus continue, aujourd’hui encore, de proposer la purification du cœur et la communion à sa vie, comme une source toujours jaillissante à laquelle on peut venir puiser, comme une auberge toujours ouverte aux voyageurs fatigués.
Seigneur Jésus, nous te rendons grâce pour l’appel à la sainteté que tu adresses à tout homme et toute femme. Merci pour les vivres que tu nous fournis pour progresser sur ce chemin. Gloire à toi, Seigneur Jésus, qui vis et règnes avec le Père dans l’unité du Saint-Esprit pour les siècles des siècles. Amen.
Père Alexandre-Marie Valder