La miséricorde du Seigneur
Faisons ensemble quatre pas vers une meilleure compréhension de la miséricorde à la lumière des lectures de ce jour.
Premier pas. Au XVIe siècle, la catéchèse des enfants pauvres, passait pour une tâche sans grande importance. Saint Ignace de Loyola s’efforçait pourtant d’y consacrer une part de son temps. A son frère qui lui reprochait de s’abaisser à de telles occupations et lui prédisait un échec cuisant, il répondit : « Il me suffit qu’un seul enfant vienne m’écouter. » Pour lui, le temps passé à catéchiser un seul enfant n’était pas du temps perdu.
Notre manière humaine d’agir est souvent de laisser de côté ce qui semble le moins important. Ce n’est pas la manière de faire du Seigneur. Nous avons entendu les trois paraboles de la miséricorde : la parabole de la brebis perdue, celle de la pièce perdue et celle du fils perdu – ou du fils prodigue, ou du père miséricordieux.
« Si l’un de vous a cent brebis et qu’il en perd une, n’abandonne-t-il pas les 99 autres dans le désert ? » Euh… non, jamais de la vie ! Tant pis pour elle : 1% de perte, ça reste acceptable. « Si une femme a dix pièces d’argent et qu’elle en perd une, ne va-t-elle pas allumer une lampe et balayer la maison ? » Euh… non, jamais de la vie ! La pièce ne va pas disparaître, on peut très bien attendre le lever du jour et tôt ou tard on finira bien par la retrouver.
Le Seigneur, lui, ne tolère pas que même une seule personne soit perdue sans faire tout le possible pour la retrouver. Il ne tolère pas qu’une personne perdue reste dans l’obscurité et la saleté séparée des autres jusqu’au matin.
De ce premier pas, retenons une certaine intransigeance divine : le Seigneur ne veut pas que nous soyons saints à 90%, ni même à 99%, il veut que nous soyons des saints à 100%, et il ne nous lâchera pas tant que cela ne sera pas fait. Mais pas de panique : c’est lui, le Seigneur, qui est à l’œuvre pour faire ce dont nous ne sommes pas capables.
Deuxième pas. S’il n’y avait que les deux premières paraboles, l’Évangile ne serait pas trop choquant pour nous. Ce n’est pas de la faute de la brebis ou de la pièce si elles se sont perdues, alors, quelque part, c’est normal que leur propriétaire se donne du mal pour les retrouver. Si quelqu’un s’est perdu loin du Seigneur sans l’avoir voulu, le Seigneur peut bien se donner du mal pour le retrouver, non ?
Le Seigneur, lui, se met même à la recherche des égarés volontaires, les pécheurs, ceux qui ont choisi de couper les ponts avec lui, comme ce fils de la parabole qui a traité son père comme un mort en sursis, « Donne moi aujourd’hui ma part d’héritage. » Mais ce qui choque les pharisiens – et qui doit nous choquer aussi si nous comprenons bien – c’est que Jésus qui fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux. L’Évangile – la vie en général – ce n’est pas comme le jeu du loup-garou : on ne tire pas par hasard une carte « juste » ou une carte « pécheur ». Ces pécheurs sont des hommes et des femmes qui, en toute connaissance de cause, ont choisi le plaisir, l’argent, l’honneur, la violence, là où d’autres ont préféré la vertu, la vérité, le pardon, etc. et Jésus va manger avec eux !
Ici, permettez moi d’actualiser l’Évangile. Nous nous sommes habitués à vivre depuis au moins 20 ans dans une culture de l’annulation ultraviolente. Il est important que nous en prenions la mesure pour ne pas agir ainsi. Nous le voyons chaque jour : un élu, un écrivain, un personnage historique, ou bien un anonyme devient l’objet de la haine publique. Un propos tiré de son contexte, une simplification historique ou une fausse accusation font de lui ou d’elle la personne à abattre. Bien sûr il y a des gens qui font des choses mauvaises, et pourtant cela ne fait pas d’eux des monstres. On oublie ce que cette personne a pu dire ou faire de bien, comme si elle avait cessé un beau jour d’être de la même humanité que nous.
Combien plus le Seigneur pourrait-il en faire autant ! Il n’a pas anéanti le peuple qui l’avait insulté par le péché du veau d’or ; il a pardonné et converti. Il n’a pas détruit Saul le persécuteur des chrétiens ; il a pardonné et converti. Qu’ils l’écoutent ou non, le Seigneur va s’asseoir à la table des dictateurs, des prédicateurs de haine, de ceux qui s’engraissent sur la misère humaine.
Cela nous permet de faire notre troisième pas. Il faut que je sois convaincu que Dieu aime même les salauds pour accepter que le Seigneur recherche, accueille et embrasse le pécheur en moi. Je sais bien que je suis semblable aux deux fils de la parabole, mais j’oserai me présenter devant lui sans me trouver des excuses ou me déresponsabiliser.
Dieu déteste profondément le péché, mais il aime le pécheur qui est en moi. Cette part de moi dont j’ai honte, je voudrais la négliger, la séparer de moi ou la détruire. Le Seigneur veut la sauver. Ce qui le dérange en moi, Dieu le sauve. Patiemment.
Mais pourquoi faut-il que ce soit si lent ?
Pour mieux le comprendre, et faire ainsi notre quatrième et dernier pas, considérons deux grands acteurs de la charité au XXe, le P. Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, et l’abbé Pierre, fondateur d’Emmaüs. Dans les deux cas, une même intuition : assister les pauvres, c’est bien ; donner aux pauvres les moyens de se sortir de la misère, c’est infiniment mieux.
Il en est de même avec notre péché : le Seigneur pourrait nous sauver de force comme on plonge un petit chien dans le bain pour le toiletter. Au contraire, par sa parole qui éclaire, par les personnes qu’il met sur notre route, par les murs qu’il dresse devant nous pour nous inciter à faire demi-tour, par le sentiment de honte et de culpabilité, par les beaux rêves et les élans de générosité qu’il met en nous, le Seigneur veut que notre salut soit aussi notre œuvre.
Par conséquent, toute personne qui, au terme de son chemin de vie, sera trouvée dans la grâce de Dieu, ne pourra que s’émerveiller en disant : « Seigneur, je m’étais égaré par ma faute, je n’ai pas mérité que tu ailles à ma recherche, que tu allumes la lampe, balaies la maison, attendes sur le pas de la porte pour m’accueillir, et pourtant c’est bien ce que tu as fait, et plus encore ! Merci Seigneur. » Et le Seigneur, sans mentir, pourra lui répondre : « Merci à toi d’avoir dit oui. »
Père Alexandre-Marie Valder