Quel trésor que la Parole !
Je n’en ai peut-être pas l’air, comme ça, mais j’ai un point commun avec Dieu – vous aussi, rassurez-vous – : je parle. Je parle et ma parole vous donne d’une certaine façon accès à mon être.
Dans le cas de Dieu, c’est presque évident, pour nous chrétiens : sa Parole est quelqu’un, un Fils qui est égal à lui, consubstantiel à lui comme nous le disons dans le credo. La parole de Dieu donne parfaitement accès à son être. Il n’y a pas de friture sur la ligne. Dieu est fidèle ; il ne dissimule pas ; « pas de ruse en Dieu mon rocher ». Dieu dit ce qu’il fait ; Dieu fait ce qu’il dit ; Dieu est ce qu’il dit et ce qu’il fait.
Une grande nouvelle de la foi chrétienne donc, c’est que par la foi, nous pouvons connaître Dieu lui-même. Dieu nous parle du monde, oui ; il nous parle de nous, oui ; il nous parle de son dessein d’amour sur l’un et l’autre, oui ; mais il nous parle aussi de lui.
Imaginez que l’un d’entre vous ait un ami ou un amoureux dont la conversation se limiterait à « voilà ce que je pense du monde », « voilà ce que je pense de toi », « voilà ce que je veux »… mais, par pitié, parle-moi un peu de toi ; dis-moi qui tu es !
Nous disciples du Christ, nous avons accès à l’être même de Dieu, aujourd’hui par la foi et demain pour le voir au ciel de nos yeux de chair.
Quel trésor que la parole ! Je ne parle même pas de la Bible. Je parle de ce don que Dieu nous a fait de parler. Par la parole, nous pouvons nous communiquer des informations : c’est le niveau zéro de la parole. Par la parole, nous pouvons raconter le passé et sceller des promesses pour l’avenir. Par la parole, nous pouvons consoler et encourager, nous pouvons avertir et enseigner, nous pouvons complimenter, prier et bénir.
La parole de l’homme aussi donne accès à son être. Selon les mots du Seigneur dans l’évangile d’aujourd’hui : « L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. »
Bien sûr, la grande différence avec Dieu est que notre parole n’est pas notre être même. D’une part, nous sommes incapables de nous connaître nous-mêmes et de nous dire tout entiers, d’autre part il nous arrive bien souvent de biaiser, de ruser, de mentir. Et pourtant, il faut croire ce que nous dit Jésus : « Ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur ».
Nous avons tous cette radio intérieure, cette voix qui commente en permanence notre vie en temps réel. Le programme n’est jamais passionnant : les mêmes phrases reviennent souvent, soit pour juger autrui (« regarde-moi celle-là », « et le clignotant, c’est pour le 14 juillet ? »), soit pour nous dénigrer intérieurement (« mais quelle andouille ! », « tu aurais mieux fait de te taire »).
Je voudrais pourtant vous inviter aujourd’hui à écouter cette radio pour avoir accès à votre être. Pour quoi faire ?
L’homme moderne est trop souvent semblable à ces aveugles dont parle le Seigneur dans l’évangile : « un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? » Il est aveugle sur Dieu et aveugle sur lui-même car il n’ose pas chercher la vérité ni sur Dieu ni sur lui-même. A côté de cela, ses yeux – nos yeux, devrais-je dire – sont parfaitement ouverts sur les défauts d’autrui, sur ses petits côtés, et sur la paille de son œil.
Le carême qui va bientôt débuter va nous inviter à revenir à l’essentiel : Dieu d’abord, moi ensuite. Et les autres dans tout ça ? Ne brûlons pas les étapes : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître. » Jésus s’est retiré seul avec son Père avant d’aller vers les hommes. Croyons-nous que nous pouvons nous passer d’en faire autant ?
Pour travailler à me conformer à Dieu, il faudra connaître Dieu et me connaître moi-même. Je dirais même plus : il faudra SCRUTER l’un et l’autre.
Scruter, c’est connaître en profondeur. Scruter Dieu pendant le carême sera davantage que lire les lectures quotidiennes de la messe, ce sera les approfondir, chercher à comprendre ce que Dieu me dit de son dessein pour le monde et pour moi. Être disciples-missionnaires, c’est être en permanence dans une dynamique entre écoute et annonce. Tantôt plutôt disciples, tantôt plutôt missionnaires, sans jamais séparer l’un de l’autre, et sans aucun place pour le ronron dans la vie d’un chrétien digne de ce nom.
Scruter, être scruté, c’est l’expérience que feront les catéchumènes durant le carême, et que nous ferons avec eux. Avec Dieu, porter le regard en soi, sur ce qu’il y a de bien, de bon et de saint, pour que le Seigneur l’affermisse. Oser scruter aussi ce qui est faible, malade et mauvais, tout ces jugements, colères, envies que crachote notre radio intérieure, afin que le Seigneur vienne les guérir.
Cet effort de scrutation ne pourra se faire qu’en prenant résolument les moyens du silence. Les plus jeunes feront effort pour se détacher du flux des réseaux sociaux. Les plus anciens se demanderont si cette télévision ou cette radio allumées en permanence ne les éloignent pas de l’essentiel.
Le projet de Dieu sur nous a un nom : Jésus-Christ. Apprenons à le connaître, apprenons à nous connaître, et que notre effort de conversion nous conduise, une fois bien formés, à être à l’image du maître.
Père Alexandre-Marie