« Le Seigneur me sauvera et me fera entrer dans son Royaume céleste. »

« Le Seigneur me sauvera et me fera entrer dans son Royaume céleste. »

Un chrétien roule à l’hybride. Je ne vous parle pas d’économies ou d’écologie, mais de vie spirituelle. Nous avons deux moteurs, l’un qui nous pousse de l’arrière, l’autre qui nous tire vers l’avant.

A la fin de l’Évangile, quand le publicain redescendit dans sa maison, il était devenu un homme juste. Et après ? On ne sait pas, toutefois on suppose qu’il n’a pas pu en rester là.

Dans les évangiles et dans les actes des apôtres, les rencontres avec Jésus, lorsqu’elles sont authentiques, mettent les personnes en mouvement. Pensons à la belle-mère de Pierre qui, une fois guérie, se met à servir (Mc 1, 31). Pensons à cette fillette que Jésus ramène à la vie et qui se met à manger (Mc 5, 43). Pensons à l’infirme de la Belle-Porte guéri au nom de Jésus qui bondit et entre dans le Temple en louant Dieu (Ac 3, 8).

Baptisés, disciples de Jésus, nous avons été libérés pour vivre libres (Ga 5,1), pardonnés pour pardonner (Col 3, 13), purifiés du péché pour célébrer la Fête du Seigneur (1Co 5,8). Notre baptême, notre confirmation nous ont été donnés afin que nous en fassions usage.

On prête au saint curé d’Ars cette phrase : « Si l’on savait ce qu’est le sacerdoce, on en mourrait, non pas d’effroi, mais d’amour. » Il me semble que l’on peut en dire autant du baptême : si l’on savait, on en mourrait d’amour.

Si nous voyions de nos yeux ce qui se passe au baptême, ce complet renouvellement de toute la personne qui la rend capable de connaître Dieu par la foi et de lui rendre le culte digne de lui… Si nous voyions la vie divine commencer à s’écouler dans l’âme du baptisé, le feu de l’Esprit Saint bondir et rugir dans l’âme du confirmé… Si nous voyions les anges tendre l’oreille lorsqu’un baptisé proclame la parole à la messe… Si nous voyions, au moment de l’offertoire, nos anges gardiens apporter au Seigneur nos joies et nos peines de la semaine comme un immense trésor bien gardé dans les coffres du Ciel… Si nous voyions le Seigneur descendre en nous à la communion… on en mourrait sans doute d’amour.

Je reviens à mes deux moteurs. Ce don que le Seigneur nous a fait en nous créant et en nous recréant, c’est là notre premier moteur, celui qui nous pousse de l’arrière. Le Seigneur nous a fait un don, et ce don ne doit pas rester inemployé.

Le deuxième moteur, lui, nous tire en avant, vers la récompense qui nous est promise dans le Ciel. Nous l’avons entendu dans la lecture de saint Paul à Timothée : « Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice… le Seigneur me sauvera et me fera entrer dans son Royaume céleste. »

Ce n’est pas très à la mode, et pourtant je nous le redis : nous avons le droit, et même le devoir, de nous réjouir par avance de ce que le Seigneur a promis. Tous nous sommes confrontés à des épreuves, petites ou grandes, et il n’y a rien que nous ne puissions faire pour les éviter. Ce qui nous appartient à nous, c’est d’essayer de les vivre en union avec Jésus. Jésus n’a pas esquivé les épreuves, il les a souffertes avec patience et il est parvenu à la gloire de la résurrection. Un jour, nous avons été baptisés dans la mort et la résurrection de Jésus. Si, chaque jour, il nous faut mourir avec lui, comme Paul et bien d’autres, nous pouvons aussi, comme Paul et bien d’autres, nous réjouir du merveilleux poids de gloire que produit pour nous la détresse du moment présent (2Co 4, 17).

Voilà pour ces deux moteurs : le don du baptême et de la confirmation qui nous pousse, et la promesse du Ciel, qui nous tire de l’avant. Un chrétien ne devrait donc jamais être quelqu’un d’installé, mais toujours tendu vers le désir de faire fructifier son baptême et de se préparer à la vie du Ciel.

Le désir, ou plutôt l’absence de désir, c’est bien le problème du pharisien de la parabole. « Je suis juste, moi, merci mon Dieu. J’ai bien mangé et j’ai bien bu, merci petit Jésus. » Quelle différence avec Paul ! Il ne dit pas « je suis juste », mais « le Seigneur est le juste juge ». Lui, il a fait don de sa vie, il a mené le bon combat en gardant la foi dans les épreuves, et surtout il a désiré avec amour voir la gloire du Seigneur. Le pharisien ne désire pas avec amour, il est bien comme il est.

Quelle différence avec les croyants dont nous parlent la première lecture et le psaume : cet opprimé qui prie, cet orphelin qui supplie, ce pauvre qui persévère dans la prière ! Quelle différence aussi avec le publicain de la parabole qui désire la pitié du Seigneur et monte au Temple pour la demander !

Ce n’est pas d’abord une question d’être juste ou pécheur. Paul, qui est juste, continue de désirer l’intimité avec le Seigneur, tandis que le pharisien de la parabole est satisfait de lui. A l’opposé, le publicain et pécheur de la parabole désire faire un pas de plus avec le Seigneur, tout comme Zachée, un autre publicain et pécheur dont nous parlerons dimanche prochain, tandis que Judas, traître et pécheur, n’attend plus rien de Dieu et va se pendre.

Cela nous concerne-t-il ? Sans doute un peu, chacun pour sa part, selon les moments de la vie. Je voudrais nous inviter à deux choses.

En premier lieu, nous réjouir à nouveau de la grandeur de notre vocation baptismale et la mettre en œuvre. Dieu nous a touchés au plus intime pour nous rendre capables de l’aimer de l’amour même dont il s’aime, pour le connaître à la lumière de la foi, pour l’adorer et le servir, pour témoigner de lui. Un petit enfant baptisé qui prie le Notre Père va plus profond au cœur de Dieu qu’aucun croyant de par le monde qui se prosterne, médite ou entre en transe, car la prière de cet enfant est portée par l’Esprit de Dieu qui est en lui. « Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! » (Ga 4, 6)

En deuxième lieu, nous réjouir à nouveau de ce qui nous attend au Ciel et nous y préparer activement. C’est à partir de nos joies et nos peines, que Dieu prépare le vêtement de noces, la couronne de gloire. Il nous rend capables aujourd’hui de faire un bien dont il nous accordera la récompense.

Que ces deux certitudes soient pour nous des occasions de vraie joie. Amen.

Père Alexandre-Marie Valder