Ne va pas te tromper de bonheur

Ne va pas te tromper de bonheur

Ne va pas te tromper de bonheur

Les étudiants font cette expérience. Dans certaines épreuves académiques, il est nécessaire d’établir des priorités. Il arrive que l’on s’embourbe inutilement dans un exercice alors qu’il aurait mieux valu se concentrer sur un autre plus facile ou rapportant davantage de points. Lorsqu’il s’agit d’un texte à rédiger, on entend parfois le fameux : « Il reste quinze minutes, pensez à relire et à conclure. » On sait bien qu’il vaut mieux alors rendre un travail qui se tient, avec un début, un milieu et une fin, plutôt que de laisser voir qu’on a été surpris en plein élan.

 « Le royaume de Dieu est tout proche ; il est temps de se convertir », nous dit en substance Jean le Baptiste. La cognée est à la racine de l’arbre. Le batteur s’apprête à séparer le grain de la balle. Un moment décisif est sur le point d’arriver et c’est une bonne nouvelle, car cela nous oblige à remettre toute chose en perspective, à relire, à conclure, à voir si oui ou non notre vie « se tient ».

Et si je savais que j’allais mourir demain ? Ou la semaine prochaine ? Ou l’année prochaine ? Si je savais que j’allais mourir demain, est-ce que je mènerais ma journée de la même manière ? Si je devais rendre ma vie demain, est-ce qu’elle serait une vie « qui se tient ».

L’approche de la fin annoncée me conduirait peut-être à juger différemment de ce qui est vraiment important, de ce qui a vraiment du prix, ce qui compte vraiment. Mais alors, puisque je suis certain que je vais mourir un jour, pourquoi ne pas, dès aujourd’hui, choisir ce qui compte vraiment ?

J’ai lu récemment que la crise qu’on appelle encore « crise du milieu de vie » advient de plus en plus tôt. Des personnes de plus en plus jeunes prennent conscience qu’elles ont passé des années à courir après un but qui les a fait passer à côté de leur vrai bonheur. Il y a des gens comme cela qui passent des années à perdre leur santé pour gagner de l’argent, puis qui passent le reste de leur vie à dépenser leur argent pour garder la santé.

 L’Avent est ce temps où nous nous mettons en situation d’attente, de vigilance, de préparation… et aussi de conversion et de pénitence, comme nous y appelle Jean le Baptiste dans l’évangile. La pénitence de l’Avent a une tonalité différente de celle du Carême, quelque chose comme une interpellation :

« Lève les yeux. Le Seigneur vient. Le royaume de Dieu est tout proche. Ne va pas passer à côté. Ne va pas te tromper de bonheur. Puisses-tu ne pas avoir à attendre la mort pour réaliser que tu as oublié de vivre. Et si d’aventure tu réalises que tu es en train de passer à côté de ta vie, reviens vite à ce qui compte vraiment. »

Qu’est-ce qui compte vraiment pour toi ? Le Seigneur, lui, a déjà choisi sans appel. Il dit : « Tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur, et je t’aime (Is 43,4). » et il le montre : « Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du Ciel. » Hélas ! en nous gît le vieil Adam, celui qui, après sa faute, a choisi de se cacher en entendant venir le Seigneur. « Adam, où es-tu ? » a demandé le Seigneur. « Moi le Seigneur, je viens. Je suis là, dans le concret de ta vie. Et toi, es-tu là ou bien vis-tu à côté de ta vie ? Où es-tu ? »

 « Où es-tu ? » : c’est la même question que les hommes et les femmes adressent à Dieu, lui qui a créé ce monde, ce monde beau et bon, ce monde où cependant il y a du mal, où les loups, les léopards, les ours et les lions mangent les agneaux, les chevreaux, les vaches, les bœufs et les petits garçons et où il ne fait pas bon s’amuser avec les serpents. « Dieu, où es-tu ? Qu’as-tu à répondre ? »

La réponse de Dieu, c’est l’histoire du salut dans son ensemble. La voix de Dieu retentit, souvent dans le désert, et appelle à changer de vie. Sa promesse fonde notre espérance, notre certitude que le mal et la corruption ne seront pas le fin mot de l’histoire du monde. Le Seigneur envoie dans le monde le rameau de Jessé, celui sur qui repose l’Esprit Saint, celui qui baptisera dans le feu, celui qui jugera, dont la parole frappera, secouera et purifiera le monde comme le fléau sépare le grain de la balle. Le Seigneur le promet : il ne laissera pas le mal sans réponse.

N’est-ce qu’un vœu pieux, des paroles en l’air ? Les disciples de Jésus affirment que non : « Soutenus par ta miséricorde, nous serons libérés de tout péché, à l’abri de toute épreuve, nous qui attendons que se réalise la bienheureuse espérance. »

Les chrétiens, comme les juifs avant eux, pratiquent l’exercice de la mémoire : « Souviens-toi. Souviens-toi de la libération de la servitude d’Egypte. Souviens-toi de la traversée du désert vers la terre promise. Souviens-toi des oracles des prophètes. Souviens-toi du retour de la dispersion et de l’exil à Babylone. Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts. Souviens-toi de la vie des saints et des saintes. Souviens-toi de ton histoire sainte avec le Seigneur. Souviens-toi que le Seigneur tient toujours ses promesses. »

 Frères et sœurs, souvenons-nous que nous mourrons un jour. Tous les autres jours, nous ne mourrons pas, alors tâchons de vivre vraiment. En ce temps de l’Avent, que notre pénitence consiste à nous arracher au confort des faux bonheurs et à embrasser le vrai bonheur, celui que nous ne regretterons pas d’avoir suivi au jour du Seigneur. Aucun effort ne sera vain s’il tend vers l’avenir que le Seigneur nous assure, cet avenir enfin libéré du mal et de la corruption. Puissions-nous vivre de telle sorte que, lorsque le Seigneur viendra nous demander : « Où es-tu ? », nous puissions lui répondre sans crainte : « Me voici, Seigneur. »

Père Alexandre-Marie Valder