« Objectif Dieu »

« Objectif Dieu »

Suivre Jésus, comme construire une tour, comme livrer une guerre, ce n’est pas à prendre à la légère. Suivre Jésus n’est pas un loisir auquel on consacre du temps lorsqu’on a fini tout le reste, ce n’est pas la cerise sur le gâteau ou l’étoile sur le sapin une fois que tout le reste est fait. Suivre Jésus, devenir son disciple, c’est quelque chose qui concerne toute notre vie. En résumé, être disciple de Jésus, c’est une affaire sérieuse.

Pourquoi cela ? Si nous voulons être disciples de Jésus, si nous voulons le suivre, c’est bien pour aller quelque part. Où cela ? A Dieu, rien de moins. Dire « je suis baptisé, je suis chrétien, je suis disciple de Jésus », c’est exactement comme dire « je veux devenir saint, je veux parvenir à la perfection de l’amour, je veux voir Dieu, je veux aller à Dieu ».

La vie chrétienne peut se résumer en ces deux mots : « objectif : Dieu. »

Vous allez me dire : voir Dieu… aller à Dieu… mais c’est impossible ! Et vous avez parfaitement raison. Quel homme, même le plus sage, même le plus fort, même le plus vertueux, pourrait parvenir jusqu’à Dieu ? Dieu est au-delà de tout, insaisissable, inaccessible.

Non seulement c’est impossible, mais c’est même doublement impossible. Dieu est à l’origine de tout ce qui est, de tout ce que je suis. Même si j’amassais suffisamment de choses – des prières, des aumônes, des bonnes œuvres – pour les donner à Dieu, cela ne servirait à rien. Ce serait comme offrir à quelqu’un en cadeau d’anniversaire quelque chose qui lui appartient déjà et que j’aurais payé avec l’argent qu’il m’aurait donné.

Il n’y a que Dieu qui puisse combler notre cœur, et pourtant il est impossible de l’atteindre en amassant des choses. Qu’allons nous faire ?

Allons nous promener du côté de la première et de la deuxième lecture. Le sage fait le même constat que nous : « Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ?… Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, ce qui est dans les cieux, qui donc l’a découvert ? Et qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais pas donné la Sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ? »

Connaître Dieu, voir Dieu, atteindre Dieu, aller à Dieu, c’est impossible, à moins que Dieu lui-même ne nous en fasse le cadeau. Mais pour cela, il faut accepter de renoncer à nos certitudes, à nos possessions.

C’est précisément l’expérience que saint Paul propose à son ami Philémon. Philémon avait un esclave appelé Onésime. Celui-ci s’était enfui et réfugié auprès de Paul, qui lui avait fait connaître Jésus et l’avait baptisé. Et voilà que Paul le renvoie à son maître. Pour Philémon, comme l’écrit Paul, il s’agit de renoncer à ses droits pour le « retrouv[er] définitivement, non plus comme un esclave, mais, mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé. » Onésime accepte de faire confiance à Paul et à Philémon, quitte à renoncer à sa liberté.

Accepter de renoncer à ce que nous avons, le remettre en les mains du Seigneur et nous laisser surprendre. Cela m’évoque l’histoire d’une maman. Elle rêvait d’une grande tablée familiale avec ses petits-enfants, et voilà que son fils était devenu jésuite. Et puis une année, à Noël, son fils débarque avec d’autres jésuites, et des familles amies de sa communauté, et même quelques réfugiés. Quelle tablée !

Résumons nous. Disciples de Jésus, nous ne visons rien de moins que Dieu lui-même, et pourtant nous ne pouvons recevoir Dieu que de Dieu. C’est cela la vertu d’espérance dont on nous parlait au catéchisme : je veux voir Dieu, c’est impossible pour moi, et j’attends de Dieu seul tout ce qui m’est nécessaire.

Quelle est notre part dans tout cela ?

D’abord reconnaître avec gratitude que tout, absolument tout, nos biens matériels et immatériels, notre santé, notre famille, notre propre existence, tout nous vient de la main de Dieu. Prenons le temps de rendre grâce au Seigneur pour ses dons.

Ensuite, offrir au Seigneur tout ce que nous avons reçu de sa main, y renoncer de tout cœur, comme le sage qui renonçait à connaître Dieu par ses propres forces, comme Philémon qui renonçait à son esclave et Onésime à sa liberté.

Enfin, recevoir à nouveau de la main de Dieu ce que nous lui avons offert, mais transformé, sanctifié.  Philémon et Onésime s’étaient quittés maître et esclave, ils se retrouvent frères dans le Christ. La maman de mon histoire avait renoncé à un fils, elle a reçu une famille.

C’est précisément ce que nous faisons à l’Eucharistie : « Tu es béni Seigneur Dieu de l’univers, nous avons reçu de ta bonté le pain et le vin que nous te présentons, ils deviendront le pain de la vie et le vin du royaume éternel » C’est aussi ce que nous faisons chaque jour : accueillir le don du Seigneur, lui remettre nos vies et attendre de lui la vie éternelle que lui seul peut nous donner.

Saint Ignace de Loyola a parfaitement saisi cela dans une prière très célèbre. C’est avec ses mots que je conclus :

« Prends Seigneur, et reçois toute ma liberté,
ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté.
Tout ce que j’ai et tout ce que je possède.
C’est toi qui m’as tout donné, à toi, Seigneur, je le rends.
Tout est à toi, disposes en selon ton entière volonté.
Donne moi seulement de t’aimer
et donne moi ta grâce, elle seule me suffit. »

Père Alexandre-Marie Valder