Par le dialogue, discerner le chemin de l’Evangile

Par le dialogue, discerner le chemin de l’Evangile

Au début du XIIIe siècle, saint Dominique avait le projet de marcher jusqu’aux frontières de l’Europe afin d’évangéliser le peuple païen des Cumans. De passage dans le pays albigeois, il dialogua longuement avec un cathare. Ému de compassion pour ces hommes et ces femmes qui s’égaraient loin de la vérité, il abandonna son premier projet et devint missionnaire dans le Midi.

Plus près de nous, nous pourrions évoquer S. Pie X et S. Jean XXIII. Issus tous les deux d’un milieu très modeste, ils n’avaient qu’un projet : être de pauvres curés de campagne. L’Esprit Saint a préféré en faire des patriarches de Venise et de saints papes. Pensons enfin à Ste Teresa de Calcutta, conduite de l’éducation des jeunes filles au dévouement pour les plus pauvres d’entre les pauvres.

Il y a quelque chose de cela dans l’Évangile d’aujourd’hui. Le dialogue de Jésus avec la Cananéenne semble le forcer à modifier ses projets. Cela fait aussi penser à l’épisode des noces de Cana : « Femme, disait Jésus à Marie, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » Il accomplit pourtant le signe qui inaugure sa vie publique. Nous pouvons aussi penser à ce moment où Jésus s’empresse d’aller guérir la fille de Jaïre lorsqu’une femme malade survient et touche la frange de son manteau, obligeant le Seigneur à s’arrêter.

« Seigneur, viens à mon secours ! implore la Cananéenne.

« Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens », lui répond Jésus. Le pain des enfants, c’est la parole de Jésus, adressée d’abord aux Juifs, le peuple élu du Seigneur. Les petits chiens, ce sont les gentils, c’est-à-dire les païens, les non-juifs. Jésus, le Messie d’Israël, est d’abord envoyé aux Juifs, et il y a déjà tant à faire pour accomplir cette mission ! N’est-ce pas se disperser que de consacrer à des païens l’attention qu’il doit aux Juifs ?

Ne faisons pas de contresens : Jésus n’est pas un sectaire. Il sait bien qu’il est sorti du Père pour être envoyé à tous, Juifs et non-Juifs, pour ouvrir à tous l’accès à la Trinité, au seul Dieu vivant et véritable. Un peu plus tôt, Matthieu nous a d’ailleurs montré Jésus guérissant l’enfant d’un centurion, donc un païen. Et aujourd’hui, il nous précise que Jésus se retira dans les régions païennes de Tyr et de Sidon.

Il me semble que nous pouvons dire que Jésus sait parfaitement quelle est sa mission : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction, il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. » Jésus sait quel est le projet du Père pour lui, mais pas forcément quelle forme concrète ce projet prendra au jour le jour. Ce sont ses rencontres, avec le centurion, avec la Cananéenne, avec la Samaritaine, avec Zachée, etc., qui ont donné une forme concrète à son ministère.

Frères et sœurs, si parfois nous sommes un peu déboussolés, si nous peinons à discerner la volonté de Dieu sur nous, comme il est consolant de voir que le Seigneur Jésus n’est pas un robot qui met en œuvre un scénario minuté aux rouages bien huilés. Le Seigneur Jésus sait qui il est : le Fils de Dieu, le Verbe fait chair pour le salut du monde ; il épouse cependant notre condition humaine au point d’accepter de chercher sa route, de ne pas toujours savoir de quoi aujourd’hui sera fait.

Saint Paul a fait cette même expérience. Au début de son apostolat, il annonçait l’Évangile dans les synagogues, espérant être rejoint par ses frères juifs et, avec eux, annoncer l’Évangile aux païens. Hélas ! Paul, comme Jésus, s’est heurté au refus de la plupart de ses compatriotes et c’est pourquoi il s’est tourné vers les païens.

Frères et sœurs, arrivés à ce point, j’ouvre une parenthèse. Lorsque Paul écrit que « Dieu a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde », n’allons pas imaginer Dieu se livrant à un jeu cruel, empêchant les gens de croire pour ensuite les y forcer. Ce que Paul entend par là, c’est que rien n’échappe à la main puissante du Seigneur. Lorsqu’une personne fait obstacle au projet de Dieu pour elle, lorsqu’elle endurcit son cœur, lorsqu’elle refuse de croire, Dieu accepte cet état de fait et l’intègre dans son plan de salut : l’incrédulité des païens a permis à Dieu de former le peuple élu, Israël ; ensuite, l’incrédulité d’Israël a ouvert aux païens la porte de l’Évangile ; et Paul espère qu’un jour Israël la franchira à son tour.

Frères et sœurs, c’est par le dialogue que le Seigneur Jésus, saint Paul, saint Dominique et tous les autres, ont discerné le chemin à suivre chaque jour. Par exemple, c’est du dialogue que sont nés à le groupe des recommençants et le théo’café. Il s’agit d’abord du dialogue avec Dieu lui-même dans la prière, sans oublier le dialogue avec d’autres personnes.

Tout dialogue véritable a un lien étroit avec la vérité. On dialogue pour progresser ensemble vers la vérité, sinon autant se taire. Cela suppose d’être convaincus qu’il existe une vérité qui vaut pour tous et que l’on peut atteindre.

L’un des partenaires peut en être plus proche que l’autre et le reconnaître sans orgueil : lorsque je parle de Dieu avec un musulman, je sais bien que ma foi est plus proche de qui est vraiment Dieu ; il n’empêche que, en me parlant de ce Dieu auquel il croit, lointain et inconnaissable, à la volonté inflexible, je comprendrai mieux la tendre proximité du Seigneur manifestée en Jésus et ce dialogue nous fera progresser tous les deux.

Le dialogue comporte une part de risque, il oblige à s’exposer. Le Seigneur Jésus n’a pas craint d’entrer en dialogue avec tous ceux qu’il rencontrait, y compris ceux qui lui étaient hostiles. Il savait qu’il était l’enfant bien-aimé du Père, et que ni l’hostilité, ni les refus, ni même l’indifférence ne pouvaient lui retirer cette dignité, que rien ne pouvait mettre en échec le projet de Dieu.

Frères et sœurs, ayons le courage du dialogue. Osons interroger et nous laisser interroger, osons approfondir notre foi et discerner avec d’autres le projet de Dieu pour nous.

Père Alexandre-Marie Valder