« Quel est le premier de tous les commandements ? « 

« Quel est le premier de tous les commandements ? « 

En ce temps-là, un scribe s’avança vers Jésus pour lui demander : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Jésus est en train d’enseigner dans le Temple. Se succèdent alors des épisodes que nous connaissons par cœur. Viennent à lui d’abord un groupe de grands prêtres, de scribes et d’anciens qui lui demandent de quel droit, par quelle autorité, il se permet d’enseigner. Jésus leur répond par une question : « Le baptême de Jean le Baptiste venait-il de Dieu ou des hommes ? » puis par la parabole des vignerons qui vont jusqu’à tuer le fils de leur maître pour ne pas payer le prix de la vigne. Viennent ensuite des Pharisiens et des Hérodiens qui demandent à Jésus s’il est permis ou non de payer l’impôt à l’empereur. « Rendez à César ce qui est à César, et  Dieu ce qui est à Dieu. » Puis ce sont des Sadducéens qui interrogent Jésus à propos de la résurrection, en racontant l’histoire de cette femme qui a épousé successivement sept frères ; et Jésus, à nouveau, les renvoie dans les cordes.

Peut-être notre scribe d’aujourd’hui faisait-il partie du tout premier groupe de contradicteurs. Nous pouvons l’imaginer en arrière-plan, assister à ces polémiques successives. Alors, voyant que Jésus avait répondu de façon pertinente, il s’avance et l’interroge, non plus pour le mettre en difficulté, mais avec le désir sincère de recueillir son enseignement.

Jésus n’est pas qu’un enseignant, un maître de sagesse, mais il est aussi cela. Recueillir son enseignement nécessite le désir de grandir dans la connaissance de Dieu, l’humilité de reconnaître que nous besoin d’être enseignés, la volonté de mettre cet enseignement en pratique.

Quel est le premier de tous les commandements ? Que va donc répondre cet étrange rabbi à la question classique que se posent tous les Israélites soucieux de mettre en œuvre la Loi. Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là.

La réponse de Jésus reprend deux passages très classiques de la Torah. Le sh’ma Israël, que la première lecture nous a donné dans son contexte, est la profession de foi d’Israël, que les Juifs pieux répètent chaque jour. L’autre passage est tiré du livre du Lévitique, au cœur de la loi de sainteté qui enseigne à Israël comment se comporter en présence du Dieu Saint. Que Jésus donne ces deux commandements comme clé d’interprétation de toute la Loi nous apprend trois choses.

Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Remarquez que le premier mot du premier commandement n’est pas d’aimer Dieu, mais de l’écouter, de se laisser instruire par lui. Et c’est bien ce que fait notre scribe, et c’est bien ce que nous faisons en écoutant la Parole de Dieu lue dans l’Église. En donnant ces versets du Deutéronome comme clé d’interprétation de toute la Loi, Jésus rappelle à son interlocuteur, et à nous aussi, que ce n’est pas nous qui avons l’initiative. Ce qui est premier, c’est la grâce de Dieu, son œuvre d’amour et de salut pour tous les hommes. En méditant la Loi, les Juifs contemplent Dieu créant le monde par amour, faisant l’homme à son image par amour, se faisant connaître aux patriarches par amour, faisant alliance avec eux par amour, délivrant son peuple de la servitude par amour ; alors seulement vient la Loi, afin de donner à Israël le chemin d’une réponse d’amour à l’initiative souveraine et gratuite de Dieu.

Premièrement, donc, l’amour pour Dieu et pour le prochain qui m’est commandé est toujours une réponse à l’initiative d’amour de Dieu pour moi. Ce qui est premier, avant toute œuvre, c’est d’écouter, de contempler, de savourer, de faire mémoire de ce que Dieu a fait par amour pour nous.

Deuxièmement, lorsque Jésus a donné sa réponse, le scribe la répète pour la prendre à son compte, et Jésus l’approuve à son tour : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. » Par grâce, l’amour par lequel je réponds à l’amour de Dieu pour moi touche réellement Dieu et m’ouvre réellement les portes de son Royaume. Autrement dit, Dieu n’est pas indifférent à la réponse que je lui donne. Mes actes inspirés par l’amour, même les plus modestes, le touchent, lui font plaisir. Cela peut nous sembler évident, c’est pourtant révolutionnaire : les trois vertus théologales de foi, d’espérance et de charité reçues au baptême me permettent de toucher Dieu lui-même. Dieu se réjouit de me voir essayer de l’aimer et d’aimer mon prochain. Inversement, chaque péché que je commets va, d’une certaine manière, atteindre Dieu au cœur.

Mon amour pour le prochain est la pierre de touche, la vérification de la qualité de mon amour pour Dieu : « Celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère », écrira saint Jean de manière lapidaire. Inversement, si je crois aimer mon frère sans rapporter cet amour à Dieu, sans me confronter à l’objectivité de la Parole de Dieu, alors je n’aime pas encore vraiment. Je cours le risque de ne mettre derrière le mot aimer que mon sentiment, mon caprice ou mon intérêt du moment.

Troisième et dernier point : si la charité est la clé d’interprétation de toute la Loi, cela signifie que s’ouvre devant nous un horizon infini. Jésus ne dit pas au scribe : « Tu as tout compris, tu es arrivé au but », mais « Tu n’es pas loin du Royaume. » Aucun d’entre nous ne peut se dire : « Je n’ai pas tué, je n’ai pas volé, je n’ai pas trompé mon époux, donc je suis sans reproche devant Dieu. » Si la charité pour Dieu et pour le prochain est la clé d’interprétation de toute la morale, alors la question n’est pas d’être pur et sans reproche devant Dieu – même si c’est important – mais bien d’aimer, d’aimer Dieu et mon prochain aujourd’hui davantage qu’hier.

Frères et sœurs, au cours de cette semaine, soyons semblables au scribe de l’Évangile. Efforçons-nous de recueillir l’enseignement de Jésus et de le mettre en œuvre. Faisons mémoire des merveilles que Dieu a faites pour l’humanité et pour chacun de nous. Faisons de notre vie une réponse d’amour qui le touchera au cœur. Laissons-nous aimer dans tout ce que nous sommes et cherchons à aimer, nous aussi.

Alexandre-Marie Valder, prêtre