Vigile de Pâques : passer d’un monde à l’autre
Frères et sœurs, nous voici dans la nuit de Pâques. Pâques est la fête du passage, le passage du Seigneur Jésus de ce monde au Père, notre passage de cette terre à la grande maison du Père, comme nous l’avons chanté en entamant notre veillée, passage du monde ancien au monde nouveau.
Ces deux mondes, les prophéties qui s’égrènent dans la nuit de Pâques les décrivent par petites touches. Je me suis promené dans ces prophéties pour y glaner les mots qui décrivent l’un et l’autre monde. Pour commencer, nous avons le monde que l’on pourrait appeler le monde des morts, et voici les mots qui le caractérisent : informe et vide, chaotique et divisé, on y éprouve la fatigue, la faim et la soif, on y crie sous le fardeau de l’absurdité et du non-sens, de l’esclavage et de l’oppression, de la vieillesse, de l’abandon et de la solitude, on y éprouve la terreur et on y est livré au péché.
Pour tenir dans le monde des morts, on ne peut compter que sur soi. Il ne faut pas se laisser attendrir. Seul celui qui est utile, celui qui est essentiel, celui qui sert à quelque chose, a droit à l’existence. Dans le monde des morts, la miséricorde est une faiblesse, la souffrance est une absurdité et la mort est une libération.
En apparence, la passion du Seigneur Jésus a signé le triomphe du monde des morts. Voilà un homme qui a voulu vivre à contre-courant et qui en est mort. A quoi bon tout cela ? Combien d’heures « perdues » avec les malades et les éclopés au lieu de travailler ? Combien d’heures « perdues » à parler à Dieu et à parler de Dieu au lieu de se rendre utile ? Voilà un homme qui a osé dire « heureux les pauvres… heureux ceux qui pleurent… heureux ceux qui sont persécutés pour la justice… » Voilà un homme qui a cru que l’on pouvait répondre au mal par le bien. Il est maintenant six pieds sous terre, la belle affaire ! Voilà un homme qui avait prétendu inaugurer un monde nouveau, le règne de Dieu. Ce beau rêve s’est fracassé tel le Titanic sur l’impitoyable iceberg de la réalité.
On comprend que les disciples aient été désemparés et déprimés. Pensons aux disciples sur le chemin d’Emmaüs : « Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. » Ils sont d’autant plus déçus qu’ils avaient fortement espéré. On ne les y prendra plus. Combien d’hommes et de femmes – et nous en sommes nous aussi – préfèrent ne pas espérer pour ne pas risquer d’être déçus ?
Un autre monde est-il seulement possible ? Si l’on parcourt à nouveau les prophéties de la nuit de Pâques, elles nous décrivent ce monde, le monde des vivants, en ces termes : un monde nouveau, un monde jeune, un monde où Dieu parle à l’homme et fait alliance avec lui, un monde où les hommes sont en communion avec les autres créatures et entre eux, un monde où l’on est rassasié et désaltéré, et où, après les angoisses et la détresse, on trouve le repos, la paix et le salut.
Frères et sœurs, Pâques est la fête du passage du Seigneur Jésus du monde des morts au monde des vivants. La grande nouvelle de Pâques, c’est que le monde des vivants, le royaume de Dieu, n’est pas un rêve ; il est même plus réel que le monde des morts. Le Christ Jésus, premier-né d’entre les morts, nouvel Adam, est entré le premier dans le monde nouveau.
Pâques est la fête de notre passage du monde des morts au monde des vivants. Au jour de notre baptême, comme l’écrit saint Paul, nous avons été unis au Christ par une mort qui ressemble à la sienne et nous le serons aussi par un résurrection qui ressemblera à la sienne. Si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui.
Au jour de notre baptême, nous avons revêtu le vêtement blanc, le vêtement dont le père de miséricorde a revêtu le fils prodigue, lui qui était mort et qui est revenu à la vie, qui était perdu et qui est retrouvé, le vêtement de fête pour participer dignement au festin des noces de l’Agneau.
Un jour, interrogé par les Sadducéens qui ne croient pas en la résurrection des morts, Jésus leur avait répondu : « Le Seigneur n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous en effet vivent pour lui. » Au jour de notre baptême, nous avons commencé à vivre non plus selon la loi du monde des morts, mais selon celle du monde des vivants. Nous avons commencé à vivre pour Dieu, à l’exemple de Jésus.
Qu’est-ce que c’est « vivre pour Dieu » ? Nous aurons tout le temps pascal pour le redécouvrir et rafraîchir ce qui aurait besoin de l’être dans nos vies. Nous pouvons toutefois donner quelques repères.
Vivre pour Dieu, ce n’est pas « faire face » – si vous me permettez de détourner le slogan d’un candidat à la présidence – c’est tourner le dos : tourner le dos au monde des morts, tourner le dos à la peur de la mort et à l’esclavage du péché. « Pensez, écrit saint Paul, que vous êtes morts au péché, mais vivant pour Dieu en Jésus-Christ. »
Vivre pour Dieu, c’est être fidèle au rendez-vous quotidien de la prière. Prière des heures ou du rosaire, oraison silencieuse ou lectio divina, à chacun de trouver son école de prière. Dans la prière, le Seigneur nous appelle à avoir du courage, non pas « le courage de faire » – pour faire encore une référence à une candidate malchanceuse – mais le courage de se laisser faire.
Vivre pour Dieu, c’est, dès maintenant, choisir faire chaque action, les plus grandes comme les plus insignifiantes, par amour pour Dieu, et donc pour soi-même pour tout homme.
Christ est ressuscité des morts. Par sa mort, il a condamné le monde des morts et, par sa résurrection, inauguré le monde des vivants. Il nous fait passer avec lui de ce monde au Père. Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité. Alleluia !
Alexandre-Marie, prêtre