Le sens de notre offrande …

Le sens de notre offrande …

Il y avait autrefois deux frères qui vivaient en solitaires dans le désert d’Egypte. L’un dit un jour à l’autre : « Désormais je veux vivre comme les anges qui ne travaillent pas, mais servent Dieu sans cesse », et il partit seul dans le désert. Une semaine plus tard, fatigué et affamé, il revint frapper chez son frère en disant : « C’est moi ton frère, donne-moi à manger », mais l’autre lui répondit : « Mon frère vit désormais la vie des anges, il n’a plus besoin de se nourrir », et il le laissa patienter jusqu’à ce que l’autre reconnaisse combien il s’était trompé.

Cette histoire – vraie – nous rappelle que nous, disciples du Christ, nous restons des êtres pleinement incarnés. Le prophète Élie a besoin de boire et de manger, et il sollicite la générosité de la veuve de Sarepta. Le Temple de Jérusalem a besoin des dons que font les fidèles sous le regard de Jésus dans l’Évangile d’aujourd’hui. Jésus lui aussi reçoit de ses bienfaiteurs et bienfaitrices l’hospitalité et le pain de chaque jour. N’est pas disciple de Jésus celui qui se détourne avec mépris des contingences de ce monde, mais celui qui les remet à leur juste place.

Quelle est cette juste place ? Que les biens de la terre nous viennent de Dieu pour que nous les lui offrions. C’est ce que nous faisons lorsque nous rendons grâce avant et après les repas, comme le pape François nous y invite dans son encyclique Laudato si’ (n°227). C’est ce que nous faisons lors de la présentation des dons à la messe : « Tu es béni, Dieu de l’univers, Toi qui nous donnes ce pain, fruit de la terre et du travail des hommes ; nous Te le présentons, il deviendra le pain de la vie. »

Voilà précisément le sens que doit revêtir pour nous la quête à laquelle nous participons le dimanche. « Tu es béni Dieu de l’univers car c’est de Toi que je reçois cet argent qui me permet de subvenir aux besoins de ma famille ; je Te le présente afin qu’il participe à l’édification de l’Église entière. » Donner à la quête, ce n’est pas rien.

L’Église – avec un E majuscule – est le Temple de l’Esprit Saint, la maison que Dieu construit, l’édifice spirituel où l’homme rencontre son Dieu. Voilà quelle est le sens de notre offrande. Dans un même geste, la quête unit une finalité, disons divine : remettre notre vie entière au Seigneur ; et une finalité qu’on peut qualifier de matérielle : donner à l’Église les moyens de grandir par et pour la célébration de la liturgie, l’annonce de l’Évangile et le service des petits. Comme dans l’Incarnation du Christ, comme dans l’Eucharistie, le matériel est le plus court chemin vers le divin.

La situation sanitaire que nous avons traversée a conduit de nombreuses paroisses à repousser la quête en fin de messe et à avoir recours à la quête en ligne, si bien que nos évêques nous ont rappelé récemment que la quête ne reçoit son vrai sens que si elle trouve place au moment où l’on prépare les dons pour l’Eucharistie. Solliciter la générosité des fidèles par une collecte supplémentaire peut se justifier financièrement, mais ne revêt pas le même sens spirituel.

C’était le premier volet de cette méditation consacrée à la quête : la quête au cœur de la messe est un acte liturgique, une offrande qui oblige le donateur à une vie conforme à ce qu’il offre.

 

Et voici le deuxième volet : l’offrande du peuple saint oblige ceux qui en bénéficient à en faire bon usage. Je l’illustre par une anecdote. Un jeune religieux disait : « Moi-même, je ne possède rien, mais je ne manque de rien non plus. Alors, quand je songe à dépenser de l’argent, je me dis toujours que cet argent vient peut-être d’une pauvre veuve comme celle de l’Évangile, et cela m’aide à discerner. »

Dans nos paroisses aussi, les membres du conseil économique veillent à ce que l’argent reçu soit employé de façon juste, selon plusieurs principes. En premier lieu, en faisant primer la visée pastorale sur la visée financière – ou, dit autrement, en faisant passer la mission avant la gestion. Ensuite, en faisant jouer le principe de solidarité avec les autres paroisses, les mouvements, etc. Enfin, en respectant l’intention du donateur, et c’est exactement ce que faisait le jeune religieux dans mon anecdote. C’est la raison pour laquelle, rappelons-le au passage, le fonds d’indemnisation des victimes de pédocriminalité dont on parle en ce moment ne peut pas être et ne sera pas alimenté par les dons faits au Denier de l’Église.

L’offrande reçue du peuple de Dieu oblige ceux qui en bénéficient. Lorsqu’on est ordonné prêtre, l’évêque nous remet le pain et le vin pour l’Eucharistie en disant : « Recevez l’offrande du peuple saint pour la présenter à Dieu. Ayez conscience de ce que vous ferez, imitez dans votre vie ce que vous accomplirez et conformez-vous au mystère de la croix du Seigneur. »

Celui qui reçoit les dons des fidèles et les offre à Dieu, celui qui vit de la générosité du peuple saint, celui-là ne peut pas en faire n’importe quoi. Il doit s’efforcer, comme le prophète Élie, comme Jésus, comme Paul, de partager la vie des gens humbles. Il répondra devant le Seigneur de l’emploi qu’il aura fait des biens qui lui ont été confiés.

C’est sans doute cela qui justifie la diatribe de Jésus contre les scribes. En soi, scribe n’est ni une bonne, ni une mauvaise situation… Par leurs efforts – tout à fait louables – ces hommes étaient devenus de bons connaisseurs de la Loi, en mesure d’aider leurs concitoyens à connaître et à aimer le Seigneur. Certains cherchaient sincèrement à le faire, comme le scribe de l’Évangile de dimanche dernier. D’autres certainement se servaient de la Loi pour en retirer profit et honneurs, en extorquant de l’argent à ceux que la Loi demande justement de traiter avec plus d’égards, en premier lieu les veuves.

Alexandre-Marie, prêtre