« Voici que vient le Jour du Seigneur »
Au tout début du Ve siècle, saint Jean Chrysostome, patriarche de Constantinople, est sur la route de l’exil. La situation de l’Église n’est pas brillante, entre la mainmise du pouvoir impérial, les intrigues d’évêques avides de pouvoir et d’argent et les aberrations de théologiens qui détricotent la foi chrétienne pour l’adapter au goût du jour. Dans ses lettres, saint Jean Chrysostome encourage ses amis à la confiance et à la fidélité à la suite du Christ.
Au XIIIe siècle, dans une société supposément chrétienne mais gangrenée par la violence et l’appât du gain, saint François d’Assise s’engage résolument dans un choix de vie radical à la suite du Christ pauvre, doux et humble. D’abord seul, à contre-courant de tous, il est ensuite rejoint par des milliers de compagnons.
À la fin du XVIe siècle, les chrétiens passés au calvinisme en raison du mauvais exemple du clergé catholique et de ses compromissions avec le pouvoir et l’argent se croient libérés de l’oppression de l’Église. Saint François de Sales sait d’expérience qu’ils vivent en réalité dans l’angoisse de leur salut éternel, convaincus qu’ils sont prédestinés soit au paradis soit à l’enfer, indépendamment des œuvres qu’ils peuvent accomplir en cette vie. À la suite du Christ, le Bon Pasteur, il entreprend alors d’aller les rechercher un à un par le moyen d’une douce charité.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, alors que les monastères se vident et que bien des moines restants veulent remettre en cause tous les fondements de la vie monastique, d’autres tiennent bon au jour le jour, avec constance et fidélité, à la suite du Christ. Ceux qui voulaient tout mettre au rebut ont été oubliés, mais ceux qui ont tenu bon ont suscité des communautés florissantes.
Aujourd’hui comme hier, le monde nous offre toutes les raisons d’être consternés, bouleversés et découragés. Désastre autour de nous avec la guerre aux portes de l’Europe, la crise économique et la menace climatique. Désastre entre nous avec l’impuissance de l’Etat devant les tensions sociales et la violence ordinaire. Désastre dans l’Église entre les affaires de pédocriminalité, les intrigues de ceux et celles qui frelatent le message de Jésus à leur seul profit et nos petites bisbilles paroissiales quotidiennes. Désastre en nous-mêmes, désireux de faire le bien et faisant trop souvent le mal, désireux de suivre Jésus et revenant trop souvent à nous-mêmes.
« Nous attendions la paix, et rien de bon ! le temps du remède, et voici l’épouvante ! » (Jr 14, 19) Les épreuves du temps sont là pour nous rappeler de ne mettre notre espérance ni dans le Temple, ses belles pierres et ses ex-voto, ni dans l’Europe ou l’Etat, ni dans le génie humain ou la science, ni dans les réalisations temporelles de l’Église, dans telle personne, fût-elle chrétienne, fût-elle évêque ou cardinal. Notre espérance est en Jésus seul.
Jean Chrysostome, François d’Assise et François de Sales ne sont que trois noms parmi des milliers et des milliers d’autres qui ont résolu de suivre Jésus là où la Providence les avait placés. Peut-être – sans doute – leur est-il arrivé de désirer avoir vécu dans un autre contexte. Si cela avait été le cas, ils ne seraient pas devenus les saints que nous connaissons. Les saints, connus de l’histoire ou connus de Dieu seul, sont les plus beaux fruits des épreuves des temps.
« Voici que vient le Jour du Seigneur », nous rappelait le prophète Malachie dans la première lecture. Le Jour du Seigneur n’en finit pas d’approcher au long de l’histoire humaine. Plus il approche et plus sa lumière révèle crûment le mal et le péché à l’œuvre dans le monde. En apparence du moins, le mal ne fera que grandir et prendre de l’ampleur, comme l’ivraie qui pousse dans le champ. En parallèle, la même lumière soutient le bon grain qui pousse au milieu de l’ivraie et suscite les saints et des saintes dont chaque époque a besoin.
Dès aujourd’hui, nous vivons sous la lumière du Jour du Seigneur, qui, progressivement, brûle nos péchés et nous rend saints. C’est souvent douloureux, en effet, mais Jésus n’a pas annoncé la fin des ennuis. Il n’a pas dit que les chrétiens n’auraient qu’à attendre sereinement et benoîtement dans un transat jusqu’à ce qu’il revienne. Cependant, « ne soyez pas terrifiés : il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin. »
L’avènement de Jésus, nous l’attendons avec une joyeuse espérance. Un jour viendra, nous l’espérons fermement de la miséricorde de Dieu, où nous vivrons auprès de lui, libérés de tout péché et à l’abri de toute épreuve. C’est ce que nous réentendons à chaque messe, après le Notre-Père.
Ma part, c’est de répondre « oui » à Jésus rien qu’aujourd’hui, de le suivre rien qu’aujourd’hui. Met-il sur mon chemin une personne découragée pour lui témoigner de ma foi et de mon espérance ? M’invite-t-il à la douceur avec une personne désagréable, ou bien à la patience avec moi-même ? M’encourage-t-il à lui consacrer davantage de temps dans la prière ?
Même dans la situation la plus noire, il est toujours possible de choisir le bien, fermement appuyé sur Jésus. Je conclus en citant un roman qui, contrairement aux apparences, est pétri de foi chrétienne, le Seigneur des Anneaux. C’est Gandalf le magicien qui parle à Frodo le hobbit.:
« Chaque fois, après une défaite et un moment de répit, l’Ombre prend une forme nouvelle et se remet à croître.
_ J’aurais voulu que cela n’ait pas à arriver de mon temps, dit Frodo.
_ Moi aussi, dit Gandalf, et il en va de même pour tous ceux qui vivent en de pareils temps. Mais il ne leur appartient pas de décider. Tout ce qu’il nous appartient de décider, c’est ce que nous comptons faire du temps qui nous est imparti. »
Père Alexandre-Marie Valder