Tous des Lazare
Frères et sœurs, au long de la liturgie de ce Carême, et en communion toute spéciale avec ceux et celles qui se préparent au baptême, nous avons réentendu les récits de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine, de la guérison de l’aveugle de naissance, du réveil de Lazare. Il n’y a eu qu’une seule Samaritaine, qu’un seul aveugle de naissance, qu’un seul Lazare. Cependant, nous sommes tous appelés à adorer Dieu en esprit et vérité, à voir Dieu tel qu’il est en pleine lumière, à vivre pour toujours de la vie même de Dieu.
Nous sommes tous des Lazare que la voix de Jésus interpelle : « Viens dehors pour avoir la vie. »
Alors que j’étais en train de préparer l’homélie d’aujourd’hui, j’ai entendu des bribes d’une conversation près de moi. L’une des deux personnes disait d’un air entendu : « Tu sais, Dieu fait alliance avec la meilleure part de nous. »
Frères et sœurs, l’Évangile dans son ensemble, celui d’aujourd’hui en particulier, dit précisément l’inverse.
Si nous considérons l’humanité dans son ensemble, le Seigneur ne fait pas d’abord alliance avec la meilleure part : ni avec les puissants, ni avec les sages, ni même avec les plus vertueux.
« Si le Seigneur s’est attaché à vous, rappelle Moïse au peuple d’Israël, s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le plus petit de tous (Dt 7,7). » Et nous connaissons bien l’adresse de Paul aux Corinthiens : « Frères, vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien : parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde, […] ce qu’il y a de faible dans le monde, […] ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi (1Co 1,26-28). »
Si nous considérons maintenant chaque personne individuellement, c’est la même chose : le Seigneur ne s’adresse pas d’abord à la meilleure part de nous. Comme l’écrivait le pape François dans sa lettre consacrée à saint Joseph : « Nous pensons trop souvent que Dieu ne s’appuie que sur notre côté bon et gagnant, alors qu’en réalité la plus grande partie de ses desseins se réalise à travers et en dépit de notre faiblesse […]. Si telle est la perspective de l’économie du salut, alors nous devons apprendre à accueillir notre faiblesse avec une profonde tendresse (Patris corde n°2). »
Frères et sœurs, nous sommes des êtres humains limités en raison de notre condition de créatures. En plus de cela, nous avons tous des fragilités et des faiblesses physiques, intellectuelles, relationnelles, que nous portons depuis toujours ou qui nous sont advenues du fait de l’âge et des accidents de la vie. En plus de cela, alors que nous sommes faits pour vivre et pour aimer, nous choisissons trop souvent d’emprunter le chemin du mal, de la mort et du péché.
Notre condition de créatures, notre faiblesse, notre péché : trois bonnes raisons de croire qu’il nous sera à jamais impossible de partager la vie de Dieu.
Mais Dieu est le maître de l’impossible ; c’est même à cela qu’on le reconnaît. « Vous saurez que Je suis le Seigneur, quand j’ouvrirai vos tombeaux et vous en ferai remonter, ô mon peuple ! Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez. » Alors que le prophète Ezékiel parlait au futur, c’est au présent que saint Paul s’adresse à nous : « L’Esprit de Dieu habite en vous […]. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. »
Cela faisait quatre jours que Lazare était au tombeau lorsque Jésus l’en a tiré. Frères et sœurs, cela signifie qu’il n’existe aucune limite à ce que le Seigneur peut réaliser avec nous. Sa puissance et sa miséricorde ne se laissent pas arrêter par notre finitude, notre faiblesse et notre péché. Au contraire, comme la maladie de Lazare, il les fait servir à la gloire de Dieu.
Et notre part dans tout cela ? Dieu fait alliance avec nous, avec tout de nous, avec notre personne tout entière. Si vraiment nous sommes sous l’emprise de l’Esprit Saint, si vraiment l’Esprit Saint habite en nous, il nous appartient de coopérer à son œuvre en nous, de redire chaque jour des « non » et des « oui » : des « non » à l’œuvre du péché, à tout ce qui va dans le sens de l’orgueil, de la fermeture sur soi, du mépris et de la haine de l’autre ; des « oui » à l’œuvre de l’Esprit, à tout ce qui va dans le sens de l’humilité, de la vérité, de la docilité à l’Esprit, de l’amour authentique pour Dieu et pour les frères, amour dont Jésus nous donne le modèle.
Ces « non » et ces « oui » ne sont pas des mots en l’air : ce sont des choix de vie concrets, des paroles et des actes que nous posons ou que nous nous retenons de poser.
C’est ce que nous avons fait tout au long de ce carême, en nous détachant de tout ce qui ne conduit pas à la vie et en nous attachant à Jésus.
C’est ce que nous ferons solennellement à Pâques, ici avec Charlotte ou ailleurs avec d’autres candidats au baptême : rejeter le péché et Satan qui en est l’auteur, confesser notre foi et notre attachement à Dieu Père, Fils et Esprit Saint.
Frères et sœurs, aujourd’hui comme chaque jour, le Seigneur Jésus nous appelle, il nous prend par la main, nous relève et nous conduit de la mort à la vie, de ce monde vers le Père.
Père Alexandre-Marie Valder