Croire et aimer quand même

Croire et aimer quand même

Croire et aimer quand même

« Moi je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron… Moi je suis la vigne, et vous, les sarments. » Après l’image du berger la semaine dernière, voici une autre manière de décrire qui est le Seigneur Jésus, et qui nous sommes pour lui : il nous porte, il nous fait vivre ; par lui, avec lui et en lui, nous sommes l’objet des soins attentifs du Père céleste.

Frères et sœurs, le verbe « demeurer », très présent dans les lectures de ce dimanche, tourne notre attention vers notre propre vie intérieure, vers notre relation personnelle avec le Seigneur. Demeurer, c’est la condition indispensable pour être de véritables disciples-missionnaires, et non des gens qui s’agitent et s’éparpillent sans rien édifier de solide.

Nous le constatons d’ailleurs à différents niveaux : les époux rayonnent d’autant plus qu’ils ont d’abord pris soin de leur couple. Il en va de même des prêtres : la vie intérieure, l’intimité avec le Seigneur, est la condition d’une vraie paternité spirituelle. Inversement, nous disons souvent que celui qui ne se repose pas fatigue les autres. Être attentif à sa vie intérieure, ce n’est pas ni de l’égoïsme, c’est tout simplement du bon sens : « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. »

Ainsi donc, nous sommes invités à demeurer. Demeurer, c’est-à-dire s’établir et persévérer.

 S’établir, et ne pas faire que passer. Le Seigneur Jésus le premier s’est établi. Il ne nous a pas aimés en passant. Il a habité parmi nous. Il s’est établi parmi nous. La fête de l’Ascension que nous allons célébrer dans quelques jours n’est pas l’évasion de Jésus qui s’en retourne auprès du Père comme si son Incarnation n’était que temporaire, comme lorsque nous glissons les doigts dans un siphon d’évier pour en retirer un bijou… beurk ! mais ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Non non ! Le Verbe s’est fait chair pour de bon, et il est parti nous préparer une place afin que nous demeurions près de lui pour toujours.

Le Seigneur Jésus, le premier, demeure au cœur de nos vies, solide, inamovible, comme les cheminées de nos maisons encore si bienvenues en ce printemps bien frais. Ce qu’il nous demande, c’est de demeurer auprès de lui comme auprès d’un bon feu, dans sa chaleur. C’est ce que nous faisons lorsque nous donnons du temps au silence, à la prière, à la lecture de l’Écriture, lorsque nous vivons des sacrements de l’eucharistie et du pardon.

Il y a plus. Il s’agit pour nous, non seulement de demeurer auprès de Jésus, mais de demeurer en lui, comme lui en nous. Cette intimité n’est pas réservée aux moines ou aux mystiques. Je pensais à la communion d’âme entre deux personnes qui s’aiment : quoi que fasse l’une, l’autre est toujours dans ses pensées. C’est un peu comme si le Seigneur Jésus disait à chacun de ses disciples : « Quoi que tu fasses, que je sois au centre de tes pensées, comme toi-même tu es au centre des miennes. »

Mais… cette attention à la vie intérieure, s’établir en Jésus, demeurer en lui comme le sarment sur la vigne, est-ce que cela ne nous sépare pas du monde où nous sommes envoyés ? Il me semble que non. Être attaché à la vigne, c’est justement cela qui élève le sarment au-dessus du sol, qui lui donne une hauteur de vue sur ce qui l’entoure ; c’est justement cela qui le rend souple et résistant ; c’est justement cela qui lui permet de porter du fruit. À quoi le sarment sec est-il bon ?

 Demeurer, c’est aussi persévérer, y compris dans les difficultés du quotidien. La persévérance n’est pas une vertu très prisée de nos jours. On n’aime pas s’engager. Parmi les très nombreuses personnes qui viennent demander le baptême, beaucoup abandonnent en chemin ; et parmi les nouveaux baptisés, combien persévèrent à la suite du Christ ?

Et pourtant nous le savons bien : le ponctuel ne construit rien. Celui qui s’engage un mois aux Restos du Cœur, le mois suivant au Secours Catholique, le mois suivant à la Banque Alimentaire ou ailleurs ne s’engage pas vraiment. Celui qui va d’une aventure sans lendemain à l’autre ne construit rien de solide ni de fécond. Demeurer, c’est persévérer ; c’est choisir et rechoisir.

À propos de la persévérance, il y a cette expression dans la lettre de Jean : « Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui. » Le commandement, c’est de mettre notre foi dans le Nom de Jésus et de nous aimer les uns les autres, et il nous est demandé de le garder, comme on garde un trésor, comme on garde un secret, comme on garde un bébé. C’est comme si Dieu nous confiait quelque chose de fragile et de précieux. Et c’est vrai : à quoi ressemblerait le monde s’il n’y avait plus de communauté chrétienne où l’on mette sa foi dans le Nom de Jésus et où l’on s’aime les uns les autres ?

Au contraire, quel beau témoignage lorsque des chrétiens connaissent des épreuves et persévèrent dans la foi et l’amour. Chaque fois que, malgré les difficultés, nous rechoisissons de garder le commandement plutôt que de l’abandonner, alors s’accomplit la parole de Jésus : « Tout sarment qui porte du fruit, mon Père le purifie en le taillant pour qu’il en porte davantage. » Il y a quelque chose de plus grand, de plus beau et de plus fécond que de croire et d’aimer : c’est de croire et d’aimer quand même, en dépit des épreuves.

 Demeurer en Jésus, croire et aimer quand même, cela porte toujours du fruit ; nous le croyons, nous en sommes sûrs. « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. » Porter du fruit, c’est moins un commandement qu’une promesse. Que nous le voyions ou pas, nous fructifions, pourvu que nous demeurions en lui, qui vit pour les siècles des siècles. Amen. Alléluia.

Père Alexandre Marie Valder