L’écran et le vitrail

L’écran et le vitrail

Frères et sœurs, il nous faut prier afin que ceux que le Seigneur a appelés à le suivre de plus près et à être consacrés à son service ne soient jamais concernés par les mots du prophète Malachie : « Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement : Si vous n’écoutez pas, si vous ne prenez pas à cœur de glorifier mon nom… j’enverrai sur vous la malédiction, je maudirai les bénédictions que vous prononcerez. »

Un peu avant, le prophète a expliqué que les prêtres se plaignent de leur service et qu’ils sacrifient au Seigneur des animaux dont personne ne veut. En voyant cela, tous se disent que le Seigneur n’est pas si important, puisque même les hommes qui le servent le servent avec négligence.

L’histoire est ancienne : Caïn avait offert au Seigneur ce qui avait poussé au sol, tandis qu’Abel lui avait offert les plus bêtes de son troupeau. L’un fut agréé, l’autre non. L’histoire est toujours d’actualité : offrons-nous au Seigneur le meilleur de ce que nous avons, de notre temps en particulier, ou bien les rogatons ?

 Le Seigneur ne reproche pas aux prêtres d’être des prêtres. D’ailleurs, c’est lui, le Seigneur, qui a voulu faire alliance avec Lévi, l’un des douze fils d’Israël. Aux descendants de Lévi est confiée la mission d’être prêtres pour le Seigneur, d’être consacrés au Seigneur, d’être témoins de la sainteté du Seigneur au milieu de leurs frères et sœurs.

Ce que le Seigneur leur demande, c’est d’avoir à cœur de glorifier son nom. Il s’agit de faire voir, de faire sentir que Dieu est grand, infiniment saint, qu’on ne traite pas avec lui à la légère, mais avec la révérence due au plus grand des rois. En même temps, charge à eux de faire voir, de faire sentir, que ce Dieu-là, ce Dieu infiniment saint, s’approche et fait participer le peuple d’Israël à sa sainteté par le moyen des sacrifices, de la méditation de la Loi et de sa mise en pratique quotidienne.

Par de nombreux aspects, le sacerdoce du Nouveau Testament est bien différent du sacerdoce de l’Ancien ; pourtant, nous pouvons dire qu’un prêtre d’aujourd’hui serait infidèle à sa mission s’il venait à rabaisser Dieu, en le traitant comme la dernière roue du carrosse ou bien s’il venait à rabaisser la personne humaine, en oubliant qu’elle est créée à l’image de Dieu et appelée à partager sa sainteté.

Je parle beaucoup de prêtres. N’allons pas croire que ce cléricalisme ne concerne pas les laïcs. Les scribes et les pharisiens dont parle Jésus dans l’évangile sont des laïcs, souvent en rivalité avec les sadducéens, les prêtres du Temple. Bien que laïcs, cela ne les empêche pas de faire écran entre le Seigneur et les gens.

À l’origine, le mouvement pharisien partait d’une bonne intention : observer fidèlement la Loi, être des modèles pour les autres. Oui mais voilà : cela conduit certains pharisiens à se mettre en avant. « Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens. ». Ils se font appeler enseignant, père ou maître, et ce n’est pas un mal en soi. Cela devient un problème lorsque l’on fait écran, lorsqu’on oublie que l’on exerce ces belles fonctions d’enseignant, de père, de maître, au nom d’un plus grand que soi : le seul maître, c’est le Fils ; le seul père, c’est le Père des cieux ; le seul enseignant, c’est l’Esprit Saint (cf. Jn 14,26).

En résumé, ce que Jésus reproche aux scribes et aux pharisiens, ce dont les disciples doivent se garder, c’est de faire écran entre le Seigneur et les personnes.

 Il n’en est pas ainsi pour Paul : « Frères, nous avons été pleins de douceur avec vous, comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons. Ayant pour vous une telle affection, nous aurions voulu vous donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais jusqu’à nos propres vies, car vous nous étiez devenus très chers. »

Le dévouement de Paul au Seigneur et aux personnes va jusqu’à travailler pour vivre afin de ne pas tirer profit de l’Évangile qu’il annonce. Alors que les scribes et les pharisiens s’efforcent d’être remarqués, Paul renvoie à un autre. Son affection, son dévouement, sa tendresse, sont comme un sacrement, un signe tangible où Dieu se fait connaître et par lequel Dieu agit. D’ailleurs les Thessaloniciens ne s’y trompent pas : « Quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement, non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants. »

En fait, là où les pharisiens font écran, Paul se fait vitrail, ainsi que ses compagnons, Sylvain et Timothée. L’écran reçoit la lumière qui vient d’ailleurs et attire le regard sur lui. Le vitrail est beau par la lumière qui l’éclaire, par la figure qu’il représente, et par le talent de celui qui l’a fait. Celui qui a fait Paul, c’est le Père ; Celui qu’il représente, c’est le Fils ; la lumière qui le traverse, c’est l’Esprit Saint.

 S’il n’y avait qu’un mot à retenir, ce serait « médiateur ». Le bon serviteur du Seigneur, le bon disciple-missionnaire, le bon prêtre en particulier, doit être un médiateur. Un médiateur est une personne qui rend possible la rencontre entre d’autres personnes. De même, un bon prêtre se doit d’être un serviteur de la rencontre entre le Seigneur et toute personne. Cela vaut pour les parents, les éducateurs, et pour tout chrétien qui prend au sérieux l’éminente vocation de son baptême : faire voir que Dieu est saint ; faire voir que toute personne est aimée.

Pour nous chrétiens, le seul Médiateur, c’est le Christ Jésus : son visage, c’est le visage de Dieu ; son regard, c’est le regard de Dieu ; son cœur, c’est le cœur de Dieu ; sa tendresse, c’est la tendresse de Dieu ; sa parole, c’est la parole de Dieu.

Attachons-nous à lui par la prière, les sacrements et une vie bonne. Nous serons alors des vitraux façonnés par le Père, à l’image de son Fils et transparents à la lumière de l’Esprit. Amen.

Alexandre-Marie Valder, prêtre