Marie …

Marie …

N’en faisons-nous pas un peu beaucoup pour la Vierge Marie ? Certains seraient tentés de le dire. Toutes ces solennités et tous ces titres, Marie Mère de Dieu et Mère de l’Église, l’Immaculée Conception et l’Assomption, Trône de la Sagesse, Reine de la Paix, Reine de l’Univers et Porte du Ciel, ne vont-ils pas l’éloigner de la commune humanité et faire d’elle un écran entre le Seigneur Jésus et nous ?

Avec l’Église, je crois que tout ce que nous disons de Marie, si nous le comprenons bien, nous la montre comme celle qui marche devant nous et nous prépare le chemin. C’est précisément le sens de la fête d’aujourd’hui : Marie entre au ciel avec son âme et son corps et ce privilège annonce ce qui nous est promis à tous.

J’ai relu tout récemment un des plus beaux textes de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Ce cantique achevé quelques mois avant sa mort s’intitule « Pourquoi je t’aime, ô Marie ! » Je voudrais ce matin vous livrer quelques intuitions de la petite sainte de Lisieux, en commençant par les premières strophes :

« Si je te contemplais dans ta sublime gloire
Et surpassant l’éclat de tous les bienheureux
Que je suis ton enfant je ne pourrais le croire
O Marie devant toi, je baisserais les yeux !…

Il faut pour qu’un enfant puisse chérir sa mère
Qu’elle pleure avec lui, partage ses douleurs
O ma Mère chérie, sur la rive étrangère
Pour m’attirer à toi, que tu versas de pleurs !…. »
En méditant ta vie dans le saint Évangile
J’ose te regarder et m’approcher de toi
Me croire ton enfant ne m’est pas difficile
Car je te vois mortelle et souffrant comme moi : »

En méditant les Évangiles, Thérèse comprend clairement que, bien loin de nous décourager, Marie, par son exemple, nous rend visible l’étroit chemin du Ciel et, par son soutien maternel, nous ne rend praticable. « Je ne tremble pas en voyant ma faiblesse / Le trésor de la mère appartient à l’enfant / Et je suis ton enfant, ô ma Mère chérie » C’est là le sens profond de la fête d’aujourd’hui : Marie nous accompagne maternellement sur le rude chemin de la sainteté.

 Voici quatre pépites tirées du cantique de sainte Thérèse.

En premier lieu, Thérèse observe que Marie nous invite à rester petits et simples. Accueillant le message de l’ange, Marie répond par un oui confiant, sans exiger dans le détail un projet sur les trente ans à venir. La grâce sera donnée au jour le jour, comme l’a été la manne dans le désert. Dans sa charité aussi, Marie est petite et simple. Élisabeth a besoin d’aide et elle se rend disponible. Elle ne cherche pas à fonder une œuvre ou une ONG, elle sert simplement la personne que le Bon Dieu a mise devant elle.

Thérèse médite ensuite sur le silence de Marie. S’agit-il d’expliquer sa grossesse à Joseph, de se rendre à Bethléem, d’accoucher dans des conditions précaires, de s’enfuir en Égypte, l’Évangile nous dessine une Marie silencieuse et patiente dans les épreuves et les contrariétés, car toute sa confiance est en Dieu qui ne peut abandonner ses enfants. De la patience de Marie, tirons une leçon : la souffrance et les contrariétés n’ont pas épargné Marie, et elles ne sont pas un obstacle à notre chemin vers Dieu, bien au contraire.

J’habille ma troisième pépite d’une anecdote. On me demandait tout récemment un livre et des renseignements sur la jeunesse de Jésus. Que dire ? On n’en sait rien car il ne s’est rien produit de notable : Jésus n’a fait ni miracles ni grands discours. Il en est de même de Marie : rien n’est dit de sa vie car elle était tout ordinaire.

Thérèse s’émerveille de ce que Marie ait marché par le même chemin que nous : « Point de ravissement, de miracle et d’extase / n’embellis ta vie ô Reine des Elus ! / Le nombre des petits est bien grand sur la terre / Ils peuvent sans trembler vers toi lever les yeux / C’est par la voie commune, incomparable Mère / Qu’il te plaît de marcher pour les guider aux Cieux. » Thérèse contemple Marie mêlée aux autres Israélites au jour de la Présentation au Temple et des pèlerinages, sans singularité, sans exception ni grandeur : « Mère, ton doux Enfant veut que tu sois l’exemple / De l’âme qui Le cherche en la nuit de la foi. »

« Mais tout de même – allez-vous me dire ! – Marie a une relation privilégiée, indépassable avec Jésus ! » Oui, bien sûr : elle seule est Mère de Jésus selon la chair, et son intimité avec lui est si grande que S. Louis Grignion de Montfort pouvait écrire qu’il serait plus facile de séparer de Jésus la multitude des saints et des anges que Jésus de Marie.

Toutefois – et c’est ma quatrième pépite – cette relation privilégiée nous est ouverte, au moins en partie. Jésus lui-même le dit : « Celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. » Par la foi, toute âme peut devenir d’une certaine façon mère de Jésus. Et réciproquement, c’est chacun de nous que Jésus a remis à Marie en disant : « Voici ta mère. »

Jésus n’a trouvé personne parmi les saints et les anges, personne à qui il pouvait faire davantage confiance qu’à Marie, pour lui confier son bien le plus précieux : nous.

 « [Marie] a eu bien moins de chance que nous, écrivait Thérèse, puisqu’elle n’a pas eu de Sainte Vierge à aimer ; et c’est une telle douceur de plus pour nous, et une telle douceur de moins pour elle ! ». Que cette fête de l’Assomption nous renouvelle dans la certitude que Marie ne nous écrase pas, ne nous éclipse pas, mais nous précède et nous accompagne vers le Ciel. Que son exemple de petitesse et de simplicité, que son silence et sa patience dans les épreuves, nous encourage à cheminer comme elle par la petite voie de la confiance en Dieu.

Je laisse pour conclure la parole à Thérèse qui écrivait ceci : « On sait bien que la Sainte Vierge est la Reine du Ciel et de la terre, mais elle est plus Mère que reine, et il ne faut pas dire à cause de ses prérogatives qu’elle éclipse la gloire de tous les saints, comme le soleil à son lever fait disparaître les étoiles. Mon Dieu ! que cela est étrange ! Une Mère qui fait disparaître la gloire de ses enfants ! Moi je pense tout le contraire, je crois qu’elle augmentera de beaucoup la splendeur des élus. »

Père Alexandre-Marie