Porter du fruit pour le Royaume

Porter du fruit pour le Royaume

 

Voici que le semeur sortit pour semer. Ce qu’il sème, c’est la parole du Royaume. Cette parole tombe dans des cœurs durs (c’est le terrain au bord du chemin), dans des cœurs inconstants (c’est le sol pierreux), dans des cœurs partagés (c’est le terrain envahi de ronces) ou bien dans des cœurs dociles (c’est la bonne terre).

La parole du Royaume est comme une semence : c’est la première bonne nouvelle des lectures de ce dimanche (il y aura en tout trois bonnes nouvelles). Puisque la parole du Royaume est comme une semence, alors c’est elle, et elle seule, qui contient le principe de la vie et de la croissance. Certains pensent qu’en nous nous retroussant les manches, en faisant du bien autour de nous, alors nous mériterons notre place au paradis. Ce n’est pas ce que croient les chrétiens.

Même la meilleure terre, si elle n’est pas ensemencée, ne pourra pas donner de fruit. Aucun être humain, même le plus sage, même le plus courageux, même le plus vertueux, ne peut porter du fruit pour le Royaume par lui-même. Devant le Seigneur, nous sommes tous radicalement impuissants. Personne, absolument personne, ne peut le moins du monde gagner son entrée dans le Royaume. En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire, disait Jésus le soir du dernier repas.

Sans le Seigneur, nous sommes totalement démunis pour parvenir jusqu’à lui. Il le sait, bien sûr, et c’est pourquoi justement il ne nous laisse pas seuls. Sans relâche et sans se décourager, le Seigneur continue de semer la parole.

Deux choses m’ont frappé en méditant l’évangile de ce dimanche.

La première, c’est lorsque Jésus cite le prophète Isaïe : Le cœur de ce peuple s’est alourdi : ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur cœur ne comprenne, qu’ils ne se convertissent, – et moi, je les guérirai. « Et moi, je les guérirai. » Le verbe est au futur. En dépit des cœurs alourdis, des oreilles dures et des yeux bouchés, le Seigneur accomplira la guérison. C’est dire la force de sa parole !

La deuxième chose qui m’a frappé, c’est ce mot de « parabole ». Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? demandent les disciples. Une parabole, c’est une histoire, bien sûr, mais c’est aussi une trajectoire en cloche. Lorsqu’on ne peut pas atteindre  une cible directement parce qu’il y a un obstacle, alors on lance par-dessus. Ceux à qui Jésus ne peut pas parler directement, il s’adresse à eux d’une manière détournée afin de les atteindre malgré tout.

C’était la première bonne nouvelle de ce jour : la parole du Royaume est comme une semence, un principe de vie et de croissance que le Seigneur cherche à tout prix à implanter en nous. Ce peut être une pharse toute simple : « Et si c’était vrai tout cela ? », « Seigneur, si tu existes, fais que je te connaisse », « Et si j’allais à la messe ? », « Et si j’allais me confesser ? »

Voilà pour la semence. La deuxième bonne nouvelle, c’est que la parole de Dieu est aussi semblable à la pluie qui donne la croissance à ce qui a été semé. C’est ce que dit le Seigneur par le prophète Isaïe : La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et fait germer… ainsi ma parole ne me reviendra pas sans résultat.

Certains pensent que Dieu nous a donné des règles à appliquer, un bon exemple à suivre, et que maintenant il faut que nous soyons à la hauteur de cet exemple. Ce n’est pas ce que croient les chrétiens.

En réalité, la parole continue de descendre sur nous, comme la pluie qui, en temps normal, tombe périodiquement et accompagne la croissance des plantes. Chaque jour, elle nous est donnée pour faire germer, faire grandir ce qui a été semé dans notre cœur. Quelle est cette parole ? Il faut l’entendre dans un sens assez large, car Dieu parle de mille manière différentes.

La parole, c’est tout ce qui nous met en contact vivant et vivifiant avec le Seigneur Jésus : la prière, par exemple la prière silencieuse, et aussi le chapelet, la méditation de la Bible, la lecture des livres spirituels, mais aussi bien sûr les rencontres, spécialement avec des personnes édifiantes qui nous font grandir, et aussi avec les petits et les pauvres en qui Jésus est spécialement présent. Enfin, et surtout, ce sont les sacrements qui nous mettent en contact vivant et vivifiant avec Jésus : lorsque nous recevons l’eucharistie, le sacrement du pardon, l’onction des malades, lorsque nous revenons à la source de notre baptême (c’est ce que vont faire les pèlerins de Lourdes), de notre mariage, de notre ordination.

Voilà donc la deuxième bonne nouvelle : la parole du Royaume n’est pas que la semence donnée une fois pour toutes, il y a longtemps ; elle est aussi la pluie qui revient chaque jour faire germer et fructifier ce qui a été semé.

À présent, il faut revenir à l’évangile. Certains pensent que, quoi que fasse une personne dans sa vie, au final, on ira tous au paradis. Ce n’est pas ce que croient les chrétiens. Cela n’aura échappé à personne : le message central de la parabole, c’est que toutes les terres ne se valent pas. La parole du Royaume ne porte pas de fruit dans tous les cœurs.

Et c’est la troisième bonne nouvelle d’aujourd’hui : le Seigneur ne nous force pas à porter du fruit, il nous prend au sérieux, il sollicite notre coopération. Notre travail ne sera ni de semer, ni d’arroser, encore moins de donner la croissance : tout cela, c’est lui qui s’en occupe.

Notre travail, c’est d’enlever ce qui n’a rien à faire dans notre terrain et qui gêne la croissance de la semence : les oiseaux, les pierres et les ronces. Chassons donc les suggestions qui ne viennent pas de l’Esprit Saint. Retirons tout ce qui nous alourdit et nous empêche d’aller au plus profond de nous-mêmes (le bruit, la musique en permanence, les écrans, etc.) Arrachons ce que Jésus appelle le souci du monde et la séduction de la richesse, tout ce qui nous étouffe. Alors la parole du Royaume que le Seigneur aura semée et qu’il aura patiemment arrosée pourra enfin porter du fruit pour la vie éternelle. Amen.

Alexandre-Marie Valder, prêtre