Responsabilité, patience et miséricorde

Responsabilité, patience et miséricorde

Qu’il résonne étrangement, cet Évangile, juste une semaine après celui des ouvriers envoyés à la vigne ! Aujourd’hui, Jésus nous invite à prendre en compte la possibilité de refuser d’aller travailler à la vigne, de refuser de suivre le chemin de la justice, ce chemin que Jésus est en personne. Il s’agit d’une chose toute simple, frères et sœurs : notre vie est une réalité dynamique, changeante.

Soyons concrets : parlons des anges ! Selon notre foi, les anges, parce qu’ils sont de purs esprits, ont pu, au premier instant de leur existence, donner à Dieu une réponse libre, plénière et définitive : un « oui » pour les bons anges, fixés pour toujours dans la béatitude, un « non » pour les démons, exclus pour toujours de cette béatitude.

Nous les êtres humains, avons aussi à donner au Seigneur, ce « oui » ou ce « non », cette réponse qui nous fixera un jour dans l’adhésion à Dieu ou dans sa fuite, une réponse qui s’étire tout au long des années de notre vie. La Vierge Marie a eu ce privilège de ne jamais répondre que « oui ». Pour nous, c’est une succession de « oui » et de « non », d’adhésions et de refus. L’essentiel, comme nous l’avons vu la semaine dernière, c’est d’être trouvés au travail dans la vigne à la fin de la journée. Comme à « Qui veut gagner des millions ? », c’est le dernier mot qui compte.

Qui dit « réponse » dit « responsabilité ». Responsabilité personnelle : voilà, le mot est lâché. La responsabilité personnelle du croyant devant le Seigneur, c’est le thème de tout le chapitre 18 d’Ezékiel, dont nous avons entendu un tout petit extrait. Par le prophète, le Seigneur va à l’encontre de la croyance populaire selon laquelle « les pères mangent du raisin vert et les dents des fils en sont irritées », autrement dit que le Seigneur fait peser sur les fils les péchés des pères.

Ezékiel brosse alors le portrait de trois hommes. Le premier est un homme juste et vertueux ; sa justice lui vaudra la vie. Son fils, au contraire, est un impie, un violent, un idolâtre et un exploiteur des pauvres ; son péché entraînera sa mort. Le fils de cet homme impie, à l’inverse, est un homme juste et vertueux ; comme pour son grand-père, sa justice lui vaudra la vie.

Arrive alors la lecture d’aujourd’hui : « Vous dites : “La conduite du Seigneur n’est pas la bonne.” Ecoutez donc, fils d’Israël : est-ce ma conduite qui n’est pas la bonne ? N’est-ce pas plutôt la vôtre ? »

Il est vrai que cette responsabilité peut paraître effrayante, écrasante. On voudrait parfois la fuir en se réfugiant derrière des formules toutes faites : « C’est le destin », ou bien « C’était écrit », ou bien « C’est la génétique », ou bien « C’est la société ». Rappelons-nous au contraire les mots du Seigneur au roi David qui avait commis l’adultère avec Bethsabée et fait exécuter son mari, Urie le Hittite : « Cet homme, c’est toi. »

Frères et sœurs, nous n’en sommes qu’à la moitié de l’homélie. À ce stade, souvenons-nous que cette responsabilité, réelle, engageante, nous l’exerçons sur fond de patience et de miséricorde de la part du Seigneur. Toujours. Toujours.

Patience et miséricorde. Aujourd’hui, dans la situation qui est la mienne ici et maintenant, tout ce que je peux répondre au Seigneur, c’est ce petit « oui ». Qu’importe ! Ce tout petit « oui » entrouvre mon cœur à la grâce qui va me rendre capable d’un « oui » plus important demain, et ainsi de suite jusqu’au grand « OUI » qui n’aura pas de fin. Inversement, les petits « non » de chaque jour nous rendent de plus en plus difficile, mais jamais impossible, de revenir au Seigneur.

La miséricorde du Seigneur est toujours à l’œuvre pour nous aider à dire « oui » : « Seigneur, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route. Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve », nous redisait le psaume. Le saint curé d’Ars, lui qui s’épuisait pour la conversion et la réconciliation des pécheurs, n’a pas craint de dire « qu’il est plus facile de se sauver que de se perdre, tant est grande la miséricorde de Dieu. »

Ezekiel met dans la bouche du Seigneur une question et une réponse : « Prendrais-je donc plaisir à la mort du méchant – oracle du Seigneur Dieu –, et non pas plutôt à ce qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive ? […] Je ne prends plaisir à la mort de personne, – oracle du Seigneur Dieu – : convertissez-vous, et vous vivrez. »

Mais qu’est-ce que c’est « se convertir » ? Dimanche dernier, Paul nous exhortait : « Quant à vous, ayez un comportement digne de l’Évangile du Christ. » En français, être un « bon chrétien » signifie souvent « surtout ne pas dépasser les bornes » – et  j’ajouterais – « surtout dans le bien » : pas trop de piété, pas trop de témoignage, pas trop d’efforts. Frères et sœurs, attention à l’embourgeoisement spirituel !

Aujourd’hui, saint Paul insiste : « Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus. » Et de rappeler le cœur de notre foi : le Christ Jésus, le propre Fils de Dieu, s’est abaissé jusqu’à la mort de la croix, et c’est pourquoi Dieu l’a exalté par-dessus tout. Être son disciple, c’est le laisser nous saisir et nous entraîner dans sa mort et sa résurrection.

Se convertir, c’est revenir sur le chemin de la justice. Jésus en personne est ce chemin, un chemin pascal, un chemin de mort et de résurrection. En mourant, il a obtenu surabondance de vie pour lui et pour la multitude ; en échouant, en s’anéantissant, il a été comblé de gloire éternelle ; en étant réduit au silence par les hommes et en obéissant à Dieu, il a mérité que toute langue le proclame Seigneur.

Frères et sœurs, voilà jusqu’où va le « oui » de Jésus à son Père ; voilà jusqu’où va le « oui » de Dieu à l’humanité ; voilà le mètre étalon de notre « oui », l’étoile polaire sur laquelle ajuster notre cap.

« Mon enfant, dit le Seigneur, va travailler aujourd’hui à ma vigne. Mon Fils, ton frère Jésus, y est déjà à l’œuvre. Va travailler avec lui. »