« Va, et désormais ne pèche plus. »

« Va, et désormais ne pèche plus. »

Imaginez… un courageux aventurier explore un temple enfoui, lorsque soudain, le voilà coincé ! Alors les murs de la salle commencent à se rapprocher lentement pour l’écraser. Eh bien c’est un peu ce qui arrive à Jésus aujourd’hui. Essayons de comprendre.

Au cours de sa prédication, on a interrogé Jésus à propos de la fidélité dans le mariage. Il n’a pas eu peur d’affirmer quel est le beau projet de Dieu pour l’homme et la femme : « Tous deux ne feront qu’une seule chair. » En disant cela, il a choqué ses auditeurs, pour qui se séparer de sa femme, et même en avoir plusieurs en même temps, c’était normal. Jésus est même allé plus loin encore : toute personne qui regarde une autre personne comme on regarde un objet est déjà infidèle.

Aussi, en amenant une femme coupable d’adultère, les ennemis de Jésus le mettent au défi : toi qui es si sévère avec ceux qui sont infidèles à leur mariage, punis celle-là comme elle le mérite ! Si tu ne fais rien, alors tu seras complice de son péché ; mais si tu ordonnes de la tuer, alors tu peux garder tous tes beaux discours sur la miséricorde !

Nous pouvons tous connaître cette situation, à l’école, au travail, dans une association, parfois même en famille. On nous dit : « Si tu fais cela, tu es une mauvaise personne. Mais si tu ne le fais pas, tu es aussi une mauvaise personne. » Nous nous retrouvons écrasés par un regard qui nous accuse.

Jésus nous aime. Parce qu’il nous aime, il a accepté de subir ces situations angoissantes, ces situations d’écrasement, où l’on dirait qu’il n’y a pas d’issue. Il en a connu plusieurs, et il en a triomphé. C’est justement ce que nous célébrons à Pâques : alors que tout semblait perdu, Dieu ouvre une route au milieu de la mort. Les ennemis de Jésus, et même ses amis, lui disaient : « Si tu ne te bats pas pour éviter cette mort injuste, si tu n’es pas capable de te sauver toi-même, alors comment peux-tu prétendre sauver les autres ? » et en même temps, Jésus savait bien que, justement parce qu’il est le Fils de Dieu, il n’était pas question d’employer la violence. Sa vie, il ne l’a pas défendue, et on ne la lui pas pas prise non plus : il l’a offerte et, par sa mort, il a ouvert un chemin de vie pour tous les hommes.

Sainte Thérèse de Lisieux a connu de grandes angoisses : la mort de sa maman, l’entrée au carmel de ses grandes sœurs, la maladie de son père, et surtout cet écrasement entre son désir de faire de grandes choses pour Dieu et la conscience de sa faiblesse. Saint Paul a connu de grandes angoisses : les épreuves liées à son apostolat, les embûches dans ses voyages, la terrible inquiétude pour les chrétiens qu’il avait évangélisés, et surtout l’écrasement entre son désir de s’efforcer d’être un homme juste en respectant scrupuleusement la Loi de Moïse, et la conscience du besoin de lâcher-prise pour se laisser saisir par le Christ.

Tous les deux ont tenu bon dans la confiance ; ils étaient certains que Jésus est le maître de l’impossible, certains de son regard d’amour sur eux.

Le regard des hommes peut écraser. Le regard de Jésus libère et relève. Dans la mythologie grecque, le roi Midas transforme en or tout ce qu’il touche. De même, le regard de Jésus nous rend bons.

Contemplons cette femme de l’Évangile d’aujourd’hui. On nous dit qu’elle est coupable d’adultère. Elle a commis quelque chose de grave. Quelqu’un qui l’aimait lui a fait confiance, et elle a brisé cette confiance. Elle a sans doute honte d’elle-même, et sans doute désire-t-elle réparer ce qui peut l’être. Peut-être était-elle en chemin pour demander pardon.

Et voilà que son péché est révélé à tout le monde. « Mettez-la au milieu ! Venez la voir, celle-là ! » Aujourd’hui, on dirait que tout le monde a son numéro de téléphone et la harcèle sur les réseaux. Des hommes et des femmes qui sont pécheurs comme elle ont détruit son image en disant qu’elle est une mauvaise personne et qu’elle ne mérite pas de vivre. « Qu’on lui jette des pierres jusqu’à ce qu’elle meure. » Peut-être qu’elle-même a fini par y croire elle aussi : je suis une mauvaise personne, je ne mérite pas de vivre, je préfère encore mourir.

Jésus est là. Pendant que tout le monde la regarde elle, lui regarde le sol. Il n’ajoute pas son regard aux autres regards. Il écrit sur le sol. Il est déjà en train de tracer un chemin nouveau là où il n’y a pas d’issue, comme le disait le prophète Isaïe : « Le Seigneur fit un chemin dans la mer, un sentier dans les eaux puissants. » Ensuite, il renvoie chacun à sa conscience : « Que chacun de vous s’occupe de son propre péché. »

Lorsque tous sont partis, et alors seulement, il la regarde avec un regard si bon qu’il rend bonne celle qu’il regarde, un regard qui miséricordifie. « Oui, tu as fait quelque chose de mal, c’est vrai. Oui, tu as péché, c’est vrai. Oui, tu as honte de toi, c’est vrai. Mais tu es tellement plus que ce mal que tu as commis. »

Au cours du carême, ceux qui se préparent au baptême vivent les scrutins. Même nous qui sommes déjà baptisés, nous sommes invités tout spécialement en ce moment à nous laisser scruter par ce regard de Jésus qui, sans aucune violence, plonge si profondément en nous. Plus profondément que le mal que nous avons commis, plus profondément que le mal que les autres pensent de nous, plus profondément que le mal que nous pensons de nous-mêmes.

Aujourd’hui, ce que Jésus dit à cette femme, ce qu’il dit à chacun, c’est : « Oui, je scrute clairement ton péché, et je déteste ton péché, mais toi, je ne te condamne pas. De mon regard qui scrute au plus profond de toi, je vois une belle personne, une fille de Dieu. Va et abandonne ce mal qui cache la personne que tu es vraiment. Va et deviens meilleure. Va, et désormais ne pèche plus. »

Père Alexandre-Marie