« Vous êtes le sel de la terre ! Vous êtes la lumière du monde ! »

« Vous êtes le sel de la terre ! Vous êtes la lumière du monde ! »

« Vous êtes le sel de la terre ! Vous êtes la lumière du monde ! » Qui ça ? Nous ? Oui, nous ! Jésus s’adresse à ses disciples. Tous les disciples de Jésus, nous tous, nous sommes sel de la terre et lumière du monde. Surtout n’allons pas croire que la vie chrétienne pleinement vécue, c’est-à-dire la sainteté, est réservée à une élite, à des professionnels de Dieu. Les « saints de la porte d’à-côté », comme dit le pape François, c’est nous. Le baptême, la confirmation et l’eucharistie, les trois sacrements qui nous font chrétiens à part entière, nous font disciples et témoins, sel de la terre et lumière du monde.

Il ne faut pas non plus que cela nous effraie comme une corvée de plus, un devoir religieux qui nous incombe : oh là là ! il fallait déjà aller à la messe le dimanche, se confesser et communier à Pâques, faire maigre le vendredi, donner au denier, et puis voilà qu’en plus il faut être sel et lumière. « Engagez-vous, rengagez-vous », qu’y disaient…

Donner du goût, donner de la lumière, ce n’est pas quelque chose que nous avons à faire. Tout disciple est sel et lumière dans la mesure où il reste en contact avec Jésus, où il demeure en Jésus. Lorsqu’un petit caillou demeure à l’intérieur d’une huître, celle-ci produit une perle de grand prix. Le gravillon n’y est pour rien. Il en va de même pour nous lorsque nous demeurons obstinément en Jésus par la foi, par l’espérance et l’amour vrai : nous sommes transformés, rendus capables d’être sel et lumière.

Le Seigneur fait tout le travail. Cette certitude doit nous rassurer et aussi nous préserver de l’un de nos grands ennemis : le pélagianisme. Le pape François met souvent en garde contre cet ennemi. C’est une mentalité qui nous fait croire que nous pouvons et que nous devons nous sauver nous-mêmes, à force de volonté et d’effort. Lorsque nous réussirons quelque chose de bien, nous allons nous enorgueillir et juger les autres. Au contraire, lorsque nous échouerons, nous allons désespérer de nous-mêmes.

Mais non, frères et sœurs, nous n’avons pas à mériter l’amour de Dieu. La grâce de Dieu est première, et c’est elle qui nous donne ensuite de porter du fruit, d’être sel de la terre et lumière du monde. Écoutons ce que nous dit le prophète Isaïe :
« Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante,  si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi. »

Aujourd’hui, nous ne sommes peut-être pas en mesure de venir en aide à tous les malheureux, mais nous pouvons sans doute faire disparaître de nos maisons et de nos communautés le joug, le geste accusateur et la parole malfaisante.

Commencer petitement mais concrètement nous préserve du second grand ennemi dont parle souvent le pape François : le gnosticisme. C’est la mentalité de celui qui sait tout mais qui ne fait rien, la mentalité du sel qui veut rester dans la salière et de la lampe qui veut rester sous le boisseau plutôt que de courir le risque de la rencontre avec les frères et les sœurs.

Paul rappelle aux Corinthiens que, au commencement, il s’est présenté à eux « dans la faiblesse, craintif et tout tremblant ». Pour ce qu’on en sait, Paul n’était pas un canon de beauté, et il n’en imposait pas par sa personnalité. Peut-être faisait-il peine à voir, peut-être ne savait-il pas vraiment quoi dire ; toujours est-il qu’il a osé ouvrir la bouche et témoigner de Jésus. Peut-être ne serions-nous pas là s’il ne l’avait pas fait.

Pour être sel de la terre et lumière du monde, il faut toujours les deux : être uni à Jésus par la foi, l’espérance et l’amour vrai, car c’est lui qui fait tout le travail, et aller vers les autres avec nos petits moyens, car Jésus ne veut pas faire sans nous.

Pour en revenir aux huîtres et aux perles, le premier ennemi, le pélagianisme, veut faire croire au petit caillou que, pour que le Seigneur l’aime, qu’il soit fier de lui et qu’il lui ouvre le ciel, il doit d’abord devenir une perle par lui-même. Le deuxième ennemi, le gnosticisme, paralyse le petit caillou en lui disant qu’une perle, c’est de la nacre, et que ses petits gestes du quotidien ne comptent pas : il prie mal, il ne sait pas parler de Dieu, il ne peut pas venir en aide au monde entier, alors autant ne rien faire.

Ce n’est pas la façon de faire du Seigneur. Comment le Seigneur agit-il ? Principalement par les sacrements. Et qu’est-ce qu’un sacrement ? Un sacrement, c’est une chose, un objet, un geste, une parole, à travers lesquels Dieu lui-même touche et transforme le monde. L’Église, nous enseigne le Concile Vatican II, est comme un sacrement : les hommes et les femmes qui la composent rendent le Seigneur Jésus présent et agissant.

Par le baptême, la confirmation et l’eucharistie, nous sommes tous devenus des porte-Christs, des grains de sel qui transmettent au monde le goût du Christ, des lampes qui transmettent la lumière du Christ. Nous ne pouvons rien faire sans lui, et lui ne veut pas faire sans nous.

En conclusion, gardons ces trois éléments. Premièrement que nous sommes tous, comme disciples de Jésus, sel de la terre et lumière du monde. Deuxièmement que nous le serons dans la mesure où nous demeurerons avec le Seigneur et où nous irons à la rencontre de nos frères et sœurs. Sel et lumière, nous le sommes vraiment, même si – et c’est mon troisième point – même si nous ne le voyons pas. Le sel ne sait pas qu’il donne du goût, la lampe ne sait pas qu’elle éclaire. De même pour nous : l’œuvre que le Seigneur fait à travers nous nous reste cachée la plupart du temps. Nous la découvrirons lorsque nous paraîtrons devant lui.

Père Alexandre-Marie Valder