Celui qui nous prépare à paraître devant le Roi

Celui qui nous prépare à paraître devant le Roi

Frères et sœurs, il faut que je vous raconte. Il y a quelques jours, j’ai eu affaire à une personne assez éloignée de la foi chrétienne. La discussion arrive sur la question de la mort. « Oh, vous savez, moi, le jour où je me retrouverai devant l’Autre là-haut, je lui dirai : “Ne va pas me voler dans les plumes, mon coco ! Je ne suis pas du genre à me laisser faire.” »

Cette personne dira-t-elle vraiment cela devant le Seigneur ? J’en doute.

Imaginons que nous devions nous présenter d’ici trois jours devant le pape. Nous aurions tous besoin que quelqu’un nous conseille : comment nous habiller, comment nous tenir, que dire et que ne pas dire. Combien plus pour nous présenter devant notre Créateur !

Préparer les personnes à paraître devant le roi, c’était probablement le rôle dévolu à Shebna, puis à Eliakim, dont il est question dans la première lecture : « Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera, s’il ferme, personne n’ouvrira. » Il leur appartenait de donner ou non accès auprès du roi. La lecture nous apprend que Shebna, ayant abusé de son pouvoir, a été remplacé par Eliakim. Nous apprendrons ensuite qu’Eliakim non plus ne s’est pas montré digne de la confiance qui lui était faite.

Au passage, la Bible a peut-être conservé le récit de ce fait divers vieux de 2700 ans afin que nous n’oubliions pas que notre sainteté se joue dans le concret, dans la manière dont nous exerçons nos responsabilités professionnelles, associatives, ecclésiales, familiales. Des clés, nous en avons sous notre responsabilité : en faisons-nous bon usage ?

 Frères et sœurs, dans l’Évangile d’aujourd’hui, il est question des clés du Royaume des cieux que Jésus a remises à Pierre pour fermer et ouvrir, pour lier et délier.

Commençons par le plus difficile. Aujourd’hui, l’ouverture et la liberté sont les valeurs suprêmes, sans que l’on sache d’ailleurs vraiment quel sens on donne à ces mots, si bien que l’on se demande si fermer ou lier est vraiment bien évangélique ?

Et pourtant, il est bon que Pierre détienne ce pouvoir de fermer et de lier. N’est-il pas bon, lorsque nous sommes devant la cheminée, d’être sûrs que le vent et le froid sont enfermés dehors ? Ou bien irions-nous dormir sur nos deux oreilles en ayant laissé la maison grande ouverte ? De même, il existe des comportements qui n’ont tout simplement pas leur place dans le Royaume des cieux.

Toutefois, je ne connais pas de cas où l’Église exclue définitivement des personnes. La mise à l’écart – par exemple la fameuse excommunication qui fait tant fantasmer – a toujours pour but la conversion du pécheur et sa réintégration. Aujourd’hui, la porte est fermée dans l’espoir de pouvoir l’ouvrir bientôt.

Le pouvoir des clés donné à Pierre et à ses successeurs l’est d’abord en vue d’ouvrir largement l’accès au Royaume, de préparer toute personne à paraître en présence du Seigneur.

Les premiers chapitres des Actes des Apôtres l’illustrent bien. Après la Pentecôte, Pierre parle du salut offert à tous en Jésus : « Frères, demandent les Juifs, que devons-nous faire ? _ Convertissez-vous, leur répond Pierre, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. » Et c’est encore Pierre qui va ouvrir au centurion Corneille et à tous les païens la porte de l’Église. Cette large ouverture ne va pas sans contrepartie : Ananie et Saphire, d’abord membres de la communauté, sont ensuite punis par Pierre pour avoir cédé à la cupidité et au mensonge.

Mais surtout, n’oublions pas que le pouvoir des clés est donné à Pierre afin qu’il l’exerce comme Jésus et en dépendance de Jésus. Dans le livre de l’Apocalypse, c’est Jésus lui-même qui se désigne comme « le Saint, le Vrai, celui qui détient la clé de David, celui qui ouvre – et nul ne fermera –, celui qui ferme – et nul ne peut ouvrir (Ap 3,7). » C’est toujours Jésus qui, par la médiation de Pierre et de ses successeurs, ouvre et ferme, lie et délie.

 Frères et sœurs, c’est la profession de foi de Pierre qui amène Jésus à lui confier les clés du Royaume. Faire entrer dans le Royaume, c’est avant tout dire la foi, donner la clé de compréhension de l’identité de Jésus, introduire toute personne en recherche à une relation ajustée avec Jésus.

Avoir la foi, ce n’est pas uniquement avoir des informations, même exactes, sur Jésus. Avoir la foi suppose une relation vivante avec lui. Avoir la foi suppose de le connaître de l’intérieur. C’est pourquoi, au catéchisme, et plus encore à l’aumônerie des adolescents, nous mettons l’accent sur l’expérience, la vie spirituelle, la prière.

Je ne crois pas que quiconque ait jamais eu la foi en trouvant par terre une Bible ou un livre de catéchisme. Il faut que l’Église, c’est-à-dire la communauté chrétienne dans son ensemble, guidée par le pape et les autres évêques, nous prenne sur ses genoux pour nous raconter Jésus. Durant toute notre vie chrétienne, ayons l’humilité de nous laisser raconter Jésus, de nous laisser enseigner ce qu’ont cru nos ancêtres dans la foi. Dans le cas contraire, notre foi risque bien de n’être qu’une opinion parmi d’autres, et non le chemin sûr vers le vrai Dieu.

En même temps que l’humilité de recevoir la foi de l’Église, ayons aussi le courage de professer ce que nous croyons, au moins pour nous-mêmes, et si possible devant d’autres. Chacun de nous, pour sa part, a aussi à prendre l’autre sur ses genoux pour lui raconter Jésus : qui il est, ce qu’il a dit et ce qu’il a fait.

Merci Seigneur de nous avoir donné Pierre, les autres Apôtres et leurs successeurs afin que nous ne soyons pas seuls et démunis, afin qu’ils nous enseignent et nous préparent, notre vie durant, à parvenir un jour dans ton Royaume. Amen.

Père Alexandre-Marie Valder